Black Lips
“GOOD BAD NOT EVIL”
Comment mesure-t-on l’importance historique d’un groupe ? Est-ce par le nombre de Zéniths remplis ou par le nombre de personnes qu’il a inspiré à prendre une guitare et à monter sur scène ? Si l’on quantifie le nombre de ses suiveurs, clones et enfants illégitimes, les Black Lips sont indiscutablement un groupe majeur. Souvenons-nous du début de siècle : le fantasmagorique retourdu rock qui avait porté Strokes et White Stripes au pinacle était déjà bien consommé moins de cinq ans après son avènement, mort avant même d’avoir le temps d’exister, faute de héros durables (qui se souvient de Craig Nicholls ?). Dans ce marasme, un groupe de rednecks turbulents venus d’Atlanta et semblant sortis tous droit d’une obscure compilation garage des années 60 allait devenir les improbables sauveurs de l’affaire. Des sales gosses porteurs d’un style de vie dissolu, chaotiques sur scène, à peine compétents avec leurs instruments mais d’une érudition rare sur le sujet du rock garage et aussi hilarants qu’irrésistibles. Les Black Lips ont ramené l’enthousiasme, l’amateurisme éclairé et surtout le fun dans un genre qui en manquait terriblement. Ne manquait plus que les tubes, et “Good Bad Not Evil” — une référence aux Shangri-Las — en regorge : “Katrina”, doigt dressé vers l’ouragan du même nom dont le riff est un des plus marquants des 15 dernières années, “Bad Kids”, ballade country braillarde devenue emblématique du groupe et surtout “Cold Hands”, incarnation même de ce qui fait tout le sel des Black Lips : rythmique beat sautillante, guitares déglinguées, mélodie marquante et texte étonnamment spirituel. Autour de cette trinité qui demeure la base de leurs concerts — véritables exutoires où tout est possible —, l’album propose quelques scies garage teintées de psychédélisme louche (“Lean”, “Lock And Key”, “Step Right Up”) et possède une étonnante couleur country (“Navajo”, “How Do You Tell A Child Someone Has Died”) qui lui donne une luminosité bienvenue. Pour la jeunesse de 2007, les Black Lips sont ainsi devenus l’incarnation d’un fantasme — un véritable groupe Nuggets en chair et en os —, des modèles qui ont engendré des centaines de groupes, et aujourd’hui des rebelles décadents avec qui l’aristocratie du rock — Mark Ronson, Sean Lennon — aime s’encanailler.