Rock & Folk

Richard Hawley

“TRUELOVE’S GUTTER”

- NICOLAS UNGEMUTH

Richard Hawley fait la plus belle musique du monde, mais il semble que peu de gens le sachent. Hors du temps, hors du monde, l’homme de Sheffield chante des berceuses trouvant leur source à une époque que personne n’a réellement connue. Hawley, dans le fond, est comme Dylan : ses références sont toutes hors d’âge. De Gene Vincent à Hank Williams, de Dean Martin à Faron Young, il s’auto-alimente, en toute autarcie, avec les disques qu’écoutaient son père et le père de ce père, et le père de ce père. Rien d’autre n’est venu polluer ses oreilles. Depuis 2001, il laboure le même sillon. Son art est dans la chanson d’amour, reposant sur presque rien. On trouve, en fouinant bien, du céleste, de la guitare baryton, du vibrato, de la batterie jouée aux balais. Mais pour le reste, c’est le vide. Hawley, Miles Davis, du rock, fait ses disques de manière silencieus­e. Ce sont les mêmes accords qui l’obsèdent d’album en album et, à vrai dire, le musicien travaille toujours la même chanson. Celle-ci est pleine d’écho, de vent, et chiche en notes. Chez ce romantique vivant dans un monde pré-Beatles, à l’esthétique fifties pleine d’innocence, il n’y a pas une note en trop. Il y a même des fantômes de note. De la guitare liquide, des sons fantasmati­ques, des ectoplasme­s ! Et puis, le voici qui ouvre la bouche, s’empare du micro, et sort ce truc... cette voix ! Du baryton dément, plus beau encore que ceux de Lee Hazlewood et Scott Walker réunis. Lorsque Richard Hawley chante, la beauté du monde paraît. C’est un révélateur, un magicien. Qui gère son talent avec une infinie grâce : voir, par exemple, le crescendo hallucinan­t de “Soldier On”. Un moment rare, un frisson violent, un émerveille­ment. Tout le monde est tenté, après s’être enfilé cinquante fois de suite les huit morceaux de “Truelove’s Gutter”, de dire qu’il s’agit de son plus bel album. A vrai dire, non. “Late Night Final” était parfait. “Cole’s Corner” aussi. “Lowedges” idem. Celui-ci est seulement aussi beau et ce n’est pas une mince affaire. Richard Hawley traîne sa Gretsch et sa mélancolie, chante l’homme de tous les jours, ce working class hero dont il se sent si proche, et continue de sortir méticuleus­ement des disques comme on n’en fait plus. La vraie question est : comment pourrions-nous vivre sans les albums de cet homme ?

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