Rock & Folk

Stephen Malkmus And The Jicks

“MIRROR TRAFFIC”

- JEAN-VIC CHAPUS

Cela se passe pendant la tournée de reformatio­n des Américains de Pavement en 2010. Devant un large public brassant nostalgiqu­es trentenair­es des années post-grunge et nouvelle génération débraillée, la statue du commandeur du rock branleur des années 90 défouraill­e ses tubes “Gold Soundz”, “Cut Your Hair”, “Texas Never Whispers”, “Shady Lane”... Sur scène, le groupe est concentré, serre les dents parfois. Interdit de jouer en dilettante. Car au milieu, il y a une grande bringue au visage anguleux qui ne perd rien de ce qui se passe. Non, décidément, cet homme n’est pas exactement la coolitude incarnée. Son chant heurté sort de sa gorge avec une précision de métronome. Son jeu de guitare n’a rien à envier à celui des grands de la six-cordes. C’est un Tom Verlaine (Television) sans le dandysme, un Lou Reed planqué derrière une bonhomie en T-shirt délavé. Dans tous les cas, voilà un immense singer/ songwriter. Très loin de l’image de fumiste en chef d’une bande de slackers avachis. Mélodiste précis, expériment­ateur, génie résigné à avoir toujours soit un coup d’avance soit deux de retard sur la musique qu’il joue. Ce Malkmus nous passionne. Mais il ne lui manquait donc qu’un grand album sans Pavement que critique et public examinent enfin à la hausse les possibilit­és infinies de cet architecte sonore. Cette pop est une île. Elle marche de traviole comme chez les excentriqu­es du Royaume-Uni, Edwyn Collins, Ray Davies. “Mirror Traffic”, son 4e disque avec The Jicks et produit par Beck, autre échappé des années 90, sonne comme l’opus majeur du natif de Santa Monica. Il y a tout Malkmus ici. De la candeur, des paysages d’une Amérique préservée, des morceaux qui dérapent, s’arrêtent net, puis reprennent sur un autre tempo. Quand la voix monte dans les aigus, la gorge se serre. Tantôt, l’ex-Pavement renouvelle la pop et lui redonne une naïveté premier degré (“Brain Gallop”, “Stick Figures In Love”), tantôt il investit le country-rock et lui appose un sourire mélancoliq­ue et des larmes de joie (“Long Hard Book”). Cela sans jamais oublier ces phrases sans queue ni tête : “The distortion is way too

clear...” Sur “Mirror Trafic”, le corps court perpétuell­ement après le cerveau et c’est souvent splendide. Derrière Malkmus le faux indolent, il y a un moraliste de la pop constammen­t réinventée.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France