David Bowie
“★”
L’avant-dernière incarnation de Bowie datait de 2013, lorsqu’il s’était révélé au monde ultra connecté, en pirate informatique. Secrètement, sans faire bruisser le web, il avait donné suite à son oeuvre en laissant croire au jour d’après. Ce début janvier, l’effet de surprise en moins, il a fait aussi fort en publiant (à l’heure de son soixante-neuvième anniversaire) un disque comme personne n’en attendait de lui. Le coup de l’album, à ce point poignant et audacieux, au crépuscule d’une carrière exceptionnelle, c’était une première. Même McCartney pouvait remballer son “Chaos And Creation In The Backyard” de 2005. Assez classique dans la forme, “The Next Day” avait rallumé un feu, après une décennie silencieuse, sur lequel Bowie allait, cette fois, se contenter de jeter de l’huile. C’est ce qu’il voulait qu’on pense. La vérité était ailleurs : autant dévoré par la maladie que par le besoin d’innover, il a fait appel à un orchestre post-jazz, dont le saxophoniste Donny McCaslin est la protubérance, pour revisiter drastiquement “Sue (Or In A Season Of Crime)” et “Tis A Pity She Was A Whore”, les deux titres divulgués fin 2014. Avec McCaslin et son groupe, ils ont enregistré plusieurs autres chansons dont celle, de dix minutes, qui donne son nom à “★ ”. Sans se ressembler, elles renvoient toutes, comme pour épater la galerie des miroirs, aux grandes heures de ce génie de la mutation (qui n’était déjà plus que sonore) qui croyait, dur comme fer, en son art brut. Tony Visconti, dans la confidence de l’atroce secret, supputant que ce serait la dernière fois, a fait de son mieux pour épauler l’artiste. A l’image de la batterie épileptique du début de “Blackstar”, rien n’est simple ici, tout est travaillé à l’extrême : les mélodies à se pendre ou à lécher, les suites d’accords ubuesques, les arrangements dérangés, les guitares liquéfiées ou fielleuses, la basse menaçante, les choeurs de folie... La voix, épargnée mais rendue plus grave par les ans, se fraye un chemin au-dessus de la furie (“Lazarus”, “Dollar Days”) et donne, comme au milieu de “Blackstar” ou sur “I Can’t Give You Everything”, un sacré coup d’épée dans “Low”. Une épitaphe, ce disque ? Une incitation à reprendre la discographie de Bowie par le début plutôt, et en perdre la raison.