Kevin Morby DEAD OCEANS
“SINGING SAW”
Depuis qu’il a déménagé à Los Angeles, Kevin Morby semble frappé du même virus qui touche tous les musiciens californiens qui peuplent la scène indie locale : l’hyper-productivité. A l’instar de son ami Tim Presley de White Fence (qui faisait une apparition remarquée dans le clip de “All Of My Life”) et des autres auteurs prolifiques de son voisinage, Morby publie de beaux projets avec une régularité de métronome. “Singing Saw”, son troisième album en autant d’années, est le premier de son auteur à évoquer sa vie à Los Angeles après son magnifique diptyque inspiré par New York (“Harlem River”/ “Still Life”). La matrice ici serait un piano vétuste abandonné par ses anciens propriétaires dans sa nouvelle maison. Morby aurait ainsi saisi l’opportunité pour apprendre les bases de l’instrument et y composer le squelette des chansons que comprend ce disque. Enregistré à Woodstock avec des musiciens qui avaient participé avec Morby au délire “The Complete Last Waltz” (une reconstitution sur scène de la dernière performance du Band), “Singing Saw” voit le musicien enrichir sa palette folk d’éléments inédits (choeurs féminins omniprésents, cuivres et, forcément, scie musicale). C’est un disque grave dans lequel Morby conte ses rencontres, errances nocturnes et déceptions. Son phrasé lent et ces choeurs hantés évoquent bien sûr l’univers de Leonard Cohen, d’autant que ses textes sont de plus en plus cryptiques et tourmentés. Partout la Faucheuse rôde, symbolisée par des vautours qui tournent autour de l’artiste (“Cut Me Down”) dès les premières mesures. Poète du mouvement, promeneur solitaire à l’oeil aiguisé, Kevin Morby trouve son salut dans la flânerie et parvient en quelques esquisses à dépeindre un lieu, une humeur. Il le fait superbement sur “Singing Saw”, poursuite de l’exploration funeste entamée sur le morceau-fleuve “Harlem River” (dans l’album du même nom) ou “Dorothy”, une ode à sa fidèle guitare. La pochette de l’album le montre, véritable Moïse californien, devant un buisson ardent. Tel un prophète rapportant les tables de la loi, Morby est allé au sommet de la montagne (“I Have Been To The Mountain”) et en a rapporté une divine sagesse.