Nick Cave & The Bad Seeds
“SKELETON TREE”
En juillet 2015, alors que Nick Cave travaillait sur ce seizième album, l’un de ses jumeaux adolescents se tuait en tombant d’une falaise. Soudain, la réalité entrait en collision avec la représentation caricaturale — le corbeau gothique tourmenté par la mort à longueur de disques sombres — que les critiques paresseux aiment donner de lui depuis. Et ce bourreau de travail se retrouvait à sec, incapable de verbaliser quoi que ce soit (et surtout pas sa douleur) en chanson, doutant de tout, de sa voix à sa capacité à écrire. “Skeleton Tree” est donc un album bref selon ses standards qui concentre, en 35 minutes et huit morceaux, l’essence de Nick Cave et ses Bad Seeds. Le lyrisme et les allusions bibliques auxquels Nick Cave nous a habitués ont quasiment disparu. La voix, ce timbre d’Elvis version fire and
brimstone, de crooner de l’apocalypse, se fait plus fragile. Nick Cave ne projette pas sa voix, il chante pour lui-même, ne laisse passer qu’une émotion pure, sans fard, parfois avec une urgence à la limite de l’essoufflement comme sur “Rings Of Saturn” ou dans un murmure sur l’obsédant “Girl In Amber”. Voire franchement à vif sur ”I Need You”, sa plus belle chanson d’amour à ce jour. Et ayant renoncé à voir une quelconque logique dans la vie depuis la tragédie qui l’a frappé, il a adopté une approche plus libre dans la composition de ces nouvelles chansons. Les mélodies, à l’exception de la plus nerveuse “Anthrocene”, sont de belles alanguies, arrangées avec finesse et sobriété. “Skeleton Tree” débute et s’achève sur deux chansons en miroir qui semblent se répondre. “Jesus Alone” et “Skeleton Tree” se concluent abruptement, nous laissant un instant en suspens. L’une glace le sang dès ses premières lignes (“Tu es tombé du ciel, t’es écrasé dans un champ près du fleuve Adur”), comme le mantra (“rien n’est gratuit”) de l’autre. Et sur les deux, Nick Cave s’adresse à une mystérieuse figure, répète qu’il l’appelle. Un cri qui demeure sans réponse. Mais surtout sans pathos, comme le reste d’un album à la beauté troublante.