Rock & Folk

Leonard Cohen

“YOU WANT IT DARKER”

- OLIVIER CACHIN

Mon Dieu, cette voix. A 82 ans, Leonard Cohen est l’illustrati­on parfaite de la métaphore vinicole : encore meilleur avec le passage du temps. Après un déjà puissant “Popular Problems” en 2014 (dont le sépulcral morceau “Nevermind” servit de générique à la saison 2 de la série “True Detective”), le poète du désespoir élégant ouvre le bal avec une supplique au Très Haut : “If you are the dealer, I’m out of the

game” (Si c’est Toi qui distribues, je me couche). Une façon de mettre un pied dans la tombe comme on trempe un pied dans l’eau, histoire d’estimer la températur­e avant l’ultime plongeon. Produit comme le reste du disque par son fils Adam (qui signe également la superbe photo de couverture), la chanson titre est intense comme l’acceptatio­n d’une mort imminente. Les obsessions religieuse­s de Leonard Cohen, qui multiplie les références à la Torah et à l’Ancien Testament, ne sont ici qu’une façon de prolonger le mystère de son art, entre sacré et profane (car le sexe fait bon ménage avec la mort et l’extase dans les textes de l’auteur-compositeu­r). Les choeurs féminins de “Traveling Light” sont le parfait contrepoin­t des graves vocalises du Barry White blanc du folk hanté, soutenu par un violon d’une indicible nostalgie. Tous les tempos sont lents, mais jamais paresseux. “Leaving The Table” évoque le départ :

“I’m out of the game”, une nouvelle fois. Hors jeu ? Non, seulement proche de la conclusion. L’orgue qui ouvre “If I Didn’t Have Your Love” donne au morceau un aspect solennel, et rarement l’Amour aura été loué avec autant de ferveur, autant de grâce. “It Seemed A Better Way”, une des quatre musiques composées par Patrick Leonard, est une supplique à Dieu, un texte à sens multiples, bref et tranchant, qui cite la Bible. “Maintenant il est trop tard pour tendre l’autre joue”, regrette le chanteur, qui conclut en “levant son verre de sang en essayant de dire le bénédicité”. “Treaty” envisage la relation homme/ femme comme une lutte, au son des sanglots longs des violons et d’une basse acoustique. On quitte l’ange de l’amore sur une cascade de cordes avec la “String Reprise” de “Treaty”, élégiaque conclusion d’un album qui était destiné à être le dernier, comme “Blackstar” le fut pour Bowie. Funèbre et magistral.

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