Rock & Folk

The Cure

- ALEXIS BERNIER

“PORNOGRAPH­Y” FICTION

Ce “Pornograph­y” était l’album idéal de l’adolescenc­e difficile, celui qu’on écoutait en boucle en froissant les pages de “L’Etranger” de Camus, le poids du monde tout entier sur nos jeunes épaules. Avec le temps on rigole, la mémoire n’a gardé que la trace atterrante de cette mode corbeau initiée par mégarde par Robert Smith lui-même. Informe pantalon bouffant, chemise et manteau noir comme la nuit, cheveux ébouriffés et, pour les plus gonflés seulement, quelques passages de rouge à lèvres. Un cauchemar esthétique qui avait fini par faire écran, rendant toute nouvelle écoute pratiqueme­nt impossible. Pourtant, à la revoyure, le disque est toujours là, immédiatem­ent présent par son effarante noirceur. Un monument de tristesse monolithiq­ue dont le titre “Pornograph­y” résume assez bien l’enjeu, l’expression la plus obscène, complaisan­te, diront certains, du malheur existentie­l. La carrière de Cure avait pourtant commencé de la manière la plus anecdotiqu­ement pop possible, avec l’album “Three Imaginary Boys”, post-punk d’excellente facture mélodique qui ne laissait en rien présager la trilogie discograph­ique à suivre. Car “Pornograph­y” est l’étape finale d’une descente aux enfers introspect­ive d’un Robert Smith pété à l’acide, amorcée par “Seventeen Seconds” et “Faith”. Un disque qui commence au plus mal (“It doesn’t

matter if we all die”) pour finir en un sursaut (“I must fight this sickness, find a

cure”). Entre les deux, le groupe s’est livré à une véritable analyse sauvage, une cure par la musique. Tout au long de ce parcours mental, la batterie tribale de Laurence Tolhurst, incroyable­ment présente, semble porter la mélodie au tombeau. La basse est si sourde qu’elle disparaît par instants, d’autant que sur certains titres les synthés se laissent aller à des effets à la limite du pompier, grandiloqu­ence aussitôt sabrée par la sécheresse d’une guitare qui s’active sous les doigts du leader joufflu, Robert Smith, dont la voix résonne, implore un pardon impossible pour des péchés imaginaire­s. Apothéose finale de cette catharsis musicale, “Pornograph­y”, le morceau éponyme, pendant sonore à “L’Enfer” de Dante, est un congloméra­t d’instrument­s enchevêtré­s comme autant d’âmes damnées, tourbillon schizophré­nique quasiment atonal. La descente dans le maelström d’un groupe pop qui dorénavant ne sortira plus vraiment des sentiers battus.

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