Kate Bush
“THE DREAMING” EMI
Après une entrée marquante dans la pop à la fin des années 70, Kate Bush s’est laissée mener vers des territoires inconnus par son appétit insatiable pour l’expérimentation sonore à la sortie de son quatrième album, “The Dreaming” en 1982. Il s’agit peut-être du plus novateur et audacieux de sa discographie. Aujourd’hui encore, il paraît pour partie très étrange et, à l’époque, a sans doute soumis à une expérience d’écoute exigeante un public pop qui considérait encore Kate Bush comme une charmante faiseuse de hits excentrique, plutôt qu’une pionnière art rock décidée à pousser son esthétique dans un domaine plus sombre et primitif. Dès le début, il est évident qu’elle repousse les limites de la technologie à sa disposition — le Fairlight CMI en particulier, un des premiers sampleurs. “Sat In Your Lap” est un torrent d’idées ne ressemblant à rien de ce qui a figuré jusqu’ici dans les charts. S’ouvrant sur un énorme grondement de batterie tribale et la voix de Bush faussement contenue, le morceau vibre de l’énergie maniaque d’une sorte de mécanisme steam-punk. Bush martèle le refrain sur son piano et sa voix s’envole vers son registre le plus haut mais, au lieu des notes pures de “Wuthering Heights”, c’est un cri à vif, proche du dérèglement total des sens. Sur “Pull Out The Pin”, inspiré par la guerre du Vietnam, Kate Bush évoque une atmosphère de jungle suffocante, à partir des flûtes de Pan du Fairlight et du grondement profond de la contrebasse de Danny Thompson. Sur une guitare qui fait grimper la tension, Kate Bush hurle à s’en briser la voix, tandis que dans les choeurs, Dave Gilmour l’encourage à “retirer la
goupille”. Les choses s’assombrissent sur “Leave It Open”, morceau le plus mystérieux et violent de l’album. Bush entonne, sur un rythme austère et fracassé, une litanie de paroles sadiques, la batterie fait une entrée fracassante, et la chanteuse devient complètement folle, beuglant telle une reine guerrière. Le morceau “The Dreaming” repousse les limites d’une ritournelle pop : si son assemblage dense de didgeridoo, psalmodie inarticulée et cris d’animaux sur une piste rythmique martelée, semblait bizarre en 1982, il paraît désormais visionnaire et en avance sur son temps. Mu par une folie à peine contenue, “The Dreaming” est un album brillamment déconcertant et un saut essentiel dans l’inconnu qui a jeté les bases de ses futurs triomphes.