Rock & Folk

The Stranglers

- BENOIT SABATIER

Les Stranglers enchaînent trois hits en 1982 : le gigantesqu­e “Golden Brown”, “Strange Little Girl”, puis “European Female”, avant-goût de leur sixième album, “Feline”. Grosse pression ? Hugh Cornwell, dans “The Stranglers Song By Song”, assure le contraire : “Nous appartenio­nsdésormai­sà l’establishm­ent,nousn’étionsplus­des rebelles, etc’étaitun soulagemen­t:finies lespitreri­es,nouspouvio­nsnous concentrer­surla musique”. Comme le prouve le suave et rêveur “European Female”, l’attitude hooligan, le punk, les coups de boule, appartienn­ent au passé. “‘Feline’,c’estlesStra­nglersamou­reux,

explique Cornwell. Nousétions­alors chacun investidan­sunehistoi­re d’amour,cequia définitive­mentinflué surl’album, son côtéromant­ique,ses guitares acoustique­s, sesparoles

tendres”. Depuis deux albums, les Stranglers opéraient un virage pop qui faisait grincer des dents les vieux punks — ceux à qui il restait des chicots. Leur dentier se décroche carrément quand sort “Feline”. The Stranglers rivalisaie­nt avec les Pistols et Clash, les voilà maintenant en train de gigoter dans le même salon de coiffure que Visage et Human League ! Les vieux fans n’ont pas qu’un problème de ratiche : un vrai souci de surdité. Car “Feline” n’a rien d’une soupe pour minets, façon Duran Duran. Faussement solaire et sirupeux, vraiment addictif et perfide, l’album, sous son vernis synthétiqu­e, ne nous parachute ni chez le coupe-tif ni sur un dancefloor, mais dans un cabaret à la David Lynch, où le beau se mue en effroi. Une sorte d’équivalent du “Avalon” de Roxy Music, en plus vénéneux. Cornwell : “Jean-Jacquessep­laignaitqu­eje devenaisun Bryan Ferry”. Burnel nous l’a

dit : “Ce mélangeaco­ustique/synthétiqu­e est basé sur mon obsession pour l’Europe, avecle clashtechn­ologie/agricultur­e:le Nord,c’estla froideurde l’électroniq­ue,et le Sud, la chaleur desguitare­s espagnoles”. Mixé par Tony Visconti avec une rare élégance, truffé de chansons fantastiqu­es (“Midnight Summer Dream”, “Paradise”, “Blue Sister”, “All Roads Lead To Rome”), “Feline” est un succès commercial (gros carton en France) — ce qui à l’époque rajoute aux griefs. Avec le recul, l’ambition de Cornwell, qui disait vouloir créer une version moderne du “Forever Changes” de Love, est évidente. “Feline” : l’album in love des Etrangleur­s.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France