Rock & Folk

Lloyd Cole And The Commotions

- CHRISTOPHE BASTERRA

“RATTLESNAK­ES” POLYDOR

C’est le mythe du premier album parfait, à la fois Graal inespéré et consécrati­on empoisonné­e — puisque par la force des choses, la suite ne pourra être que désillusio­ns et/ou radotages. Sur les trois dernières décennies, on en dénombre une poignée. Un peu plus sans doute. On pense entre autres au “Psychocand­y” de The Jesus And Mary Chain, au “Blue Lines” de Massive Attack, au “Is This It” des Strokes. Et à “Rattlesnak­es”, donc, disque à la pochette hideuse qui a pris à sa sortie tout le monde par surprise. Flash-back. À l’automne 1984, la vague synthétiqu­e tourne en boucle, les Smiths sont, paraît-il, les sauveurs d’un rock qui se meurt déjà et tout le monde continue de se foutre de Felt. Chemise blanche immaculée, mèche de jais et même moue boudeuse qu’Elvis, Lloyd Cole entre en scène. Longtemps, on l’a cru Ecossais parce que ce citoyen anglais a rencontré ses compères des Commotions à l’Université de Glasgow. Parce qu’il partage aussi quelques obsessions mélodiques avec des formations du coin, Orange Juice et Aztec Camera en tête. Mais dans son écriture, le jeune homme offre un zeste de classicism­e supplément­aire. “Rattlesnak­es” est ainsi un disque pop qui coule de source, à l’instar des guitares

ligne claire de l’insouciant “Perfect Skin”. Sur les couplets de “Speedboat”, Lloyd se prend pour le Lou Reed de “Loaded” — ce ne sera pas la seule occasion. Parfois, l’orgue évoque les horizons du “Nashville Skyline” de Bob Dylan, comme sur l’intro de l’indémodabl­e “Forest Fire”, ballade à haute teneur émotionnel­le. Souvent, tel un Bret Easton Ellis de la chanson, le garçon se prend au jeu du name-dropping — Grace Kelly, Truman Capote, Simone de Beauvoir ou Norman Mailer sont ainsi de la partie. Mais il connaît aussi ses classiques pop, ravivant le souvenir de Love, groupe génial tombé alors dans les oubliettes : “Looking like a born again/ Living like a heretic/ Listening to Arthur Lee records”, murmure-t-il sur le point d’orgue final “Are You Ready To Be Heartbroke­n ?” — la réponse est d’ailleurs oui, si jamais on se le demande. Couronné par les critiques et le public, Lloyd Cole goûte alors à un succès amplement mérité, qui de plus s’apprête à durer. Mais, comme on s’en doute déjà, jamais il ne retrouvera la singulière perfection de cet album inaugural.

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