Rock & Folk

New Order

- ALEXIS BERNIER

“LOW-LIFE” FACTORY

Ian Curtis est mort suicidé à la corde du sèche-linge en écoutant “China Girl” d’Iggy Pop. Son groupe orphelin, Joy Division, s’est rué, comme le racontera bien des années plus tard la veuve Deborah, sur le petit Dictaphone que, prévoyant l’issue fatale, ils lui avaient offert pour qu’il enregistre ses idées de chansons. La cassette, ultime pied de nez nihiliste, était bien évidemment vierge. Désemparé, le trio restant eut l’intégrité de se rebaptiser New Order avant de continuer sans leur emblématiq­ue chanteur. Ayant recruté Gillian Gilbert, une fan de longue date, pour prendre en charge les synthés, séquenceur­s et autres machines, le groupe, hanté par le souvenir de l’épileptiqu­e Curtis, traversa une abominable période de sécheresse, inspiratio­n zéro. Incapable de se renouveler, il fait sortir le parodique “Movement” sous influence morbide. Et puis, comme par accident, ce sera l’embellie par le revirement radical, “Blue Monday”, énorme tube dancefloor, inspiré par le disco italien bas de gamme, que Bernard Sumner, nouveau leader, écoute à l’époque comme pour se purger de trop de noirceur. Ce titre montrait la voie, au groupe lui-même bien sûr, mais également à toute une future génération house. Pourtant, après la radicalisa­tion mécanique de “Blue Monday”, il fallait une transition en douceur, un au revoir pop. Ce sera “Low-Life”, album gris sous pochette papier calque. En guise d’entrée en matière, “Love Vigilantes”, cynique comptine d’amour en temps de guerre, est presque une définition de la pop. La mélodie limpide coule comme un fleuve paisible, la basse de Peter Hook marque le tempo entre deux eaux et Bernard Sumner a enfin appris à placer sa voix. Mais le plus surprenant c’est la batterie de Stephen Morris qui, bien qu’organique, claque comme si elle était synthétiqu­e. Dès “The Perfect Kiss”, les synthés prennent le dessus et il devient évident que la musique de New Order est désormais affaire de dance. Le rythme s’accélère, toujours plus. Tenue à distance, la guitare se rappelle à notre souvenir à coups de riffs métallique­s. “Low-Life”, disque précurseur, souffle le froid et le chaud, trouvant un rare équilibre entre dictature binaire et anarchisme discoïde. New Order, qui n’est déjà plus un groupe de rock, s’offre, en promotion de l’album, sa dernière véritable tournée de concerts. Son avenir ne sera désormais qu’une affaire de remix.

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