Prefab Sprout
STEVE MCQUEEN KITCHENWARE
Il existe un pirate d’une interview radio où l’on entend Paddy McAloon s’asseoir au piano pour un très court extrait de “Surf’s Up”. “A diamond necklaceplayed thepawn...” Deux accords à peine plaqués, il s’interrompt d’une voix bleue : “On sent queBrian Wilson a jouédecepiano... Vousvoulezécouterquelquechosede moi,
maintenant?” Et l’animatrice d’acquiescer, désarmée par tant de confiance et d’incertitude. C’est que le songwriter en chef de Prefab Sprout est conscient de sa place parmi les plus grands, et qu’il en souffre. L’interminable liste d’albums concepts tués dans l’oeuf tout au long de sa chaotique carrière en témoigne. Elle l’empêche même de dormir, de son propre aveu. Que faire quand on peut tout ? En 1984, un premier disque brillant donne un embryon de réponse. On y découvre de lointains cousins de Steely Dan et XTC, les aïeuls de Field Music. Un groupe mordant, s’adonnant à tous les styles, qui conjugue des mots malicieusement obscurs à des airs à la sophistication extrême, quitte à être parfois un peu démonstratif. Jazz, bossa, soul : tout est à sa portée. Pour “Steve McQueen”, c’est Thomas Dolby qui sera chargé de la production et des arrangements. Bon compositeur, responsable de quelques hits électro-funk et de deux LP inventifs, il est avant tout un
sound designer hors pair, qui saura canaliser les ambitions du héros maudit. Exit la coquette âpreté de “Swoon” : “Steve McQueen” est éthéré, plein d’espace et gavé de réverbérations. L’orchestration, foisonnante, voit se côtoyer cuivres, cordes, harmonicas et même banjos ou flûte de pan synthétiques. L’intégralité du spectre est remplie (“Moving The River”, sainte chapelle) et, pourtant, une patine miraculeuse tient toutes les exubérances en place au sein d’un album-monde. Ce qui le rend unique ? Les choeurs de Wendy Smith, samplés au Fairlight puis équalisés tels des pads, augmentant ainsi des accords funambulesques et transcendant des mélodies douces-amères. Ils répondent à un McAloon en état de grâce : acide quand il conseille un garçon éploré (“Goodbye Lucille #1”), penaud pour conter des nuits d’adultère (le piano bar de “Horsin’ Around”). Il est ici beaucoup question de chair et de désirs. Et si bien des joyaux suivront, jamais plus Prefab Sprout ne comblera autant ceux de l’auditeur sur la longueur d’un album.