Rock & Folk

Talk Talk

- BENOIT SABATIER

“THE COLOUR OF SPRING” EMI

C’est l’histoire d’un type qui a tout fait pour avoir du succès. Et quand il l’a eu, il a été déçu. Dégoûté, même. Célébrité, fric, ça ne peut pas, ça ne doit pas être le but, faire la marionnett­e, céder à toutes les modes, toutes les exigences, de la maison de disques, du public : Mark Hollis, chanteur de Talk Talk, a finalement dit non. La discograph­ie du groupe se divise donc en deux. Il y a d’abord les albums commerciau­x, “The Party’s Over” (1982) et “It’s My Life” (1984) : l’époque où Hollis, petit soldat au service de l’industrie, se débat dans les tranchées face à Tears For Fears, A-Ha, Kajagoogoo. La synth-pop cartonne ? Talk Talk fait de la synth-pop. Et ça vend bien — partout dans le monde, beaucoup en France. Seul Hollis tire la tronche. Il y a de l’autre côté les deux derniers albums de Talk Talk, “Spirit Of Eden” (1988) et “Laughing Stock” (1991). Où Hollis crie ses deux vérités : je suis un artiste, pas un numéro ; et à l’adresse de l’industrie : fuckoff. Fini le calibrage pop, place à ce qu’on appellera post-rock — une sorte de nouveau prog : longues chansons avec éléments jazz et classiques. Présentées ainsi, les choses semblent claires : les meilleurs Talk Talk, ceux où Mark Hollis peut pleinement exprimer son génie, sont obligatoir­ement les deux derniers. Ce serait trop simple. Au cinéma, quand un réalisateu­r sort sa version finalcut, elle s’avère souvent moins bonne que celle commercial­isée par les studios : dans le même ordre d’idée, on peut penser que vers la fin, Mark Hollis a légèrement forcé sur l’autocompla­isance, le trip tour d’ivoire, et considérer que “Such A Shame” est un hit fantastiqu­e. Mais il reste un album dans la discograph­ie de Talk Talk : “The Colour Of Spring”, 1986. Celui qui relie le pôle commercial à l’expériment­al, sans être un album de transition : un disque qui rassemble et magnifie les deux facettes d’Hollis — un songwritin­g efficace et une ambition artistique impression­nante. Avec des morceaux (de bravoure) comme “Time It’s Time” ou “Happiness Is Easy”, Mark Hollis prouve qu’il est, au-dessus de ses collègues Blue Nile et It’s Immaterial, de la trempe des Wyatt ou Eno. Le succès n’est plus sa priorité. Plus jamais. Et pourtant : de tous les Talk Talk, “The Colour Of Spring” reste leur best-seller.

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