Rock & Folk

Paul Simon

- BENOIT VARNEX

“GRACELAND” WARNER BROS

En 1984, Paul Simon est un peu à l’arrêt. Son dernier album, “Hearts And Bones”, n’a pas été un franc succès et l’ex-acolyte d’Art Garfunkel se pose pas mal de questions. C’est dire si cette cassette de musique sud-africaine — cette mbaqanga des townships — qu’on vient de lui remettre tombe à point nommé. Mêler son sens de la mélodie folk et les sons de cette Afrique du Sud encore engluée dans l’apartheid, l’idée va vite s’imposer, avant de prendre un avion direction Johannesbu­rg afin d’aller collaborer avec les musiciens du pays, noirs pour l’essentiel : Ray Phiri, Joseph Shabalala (la voix et le compositeu­rs en chef au sein de Ladysmith Black Mambazo), The Gaza Sisters et Stimela, pour ne retenir que les plus connus. Que n’avait-il pas fait là ? Comment avait-il pu oser, lui, l’étranger, concevoir de travailler avec des musiciens sud-africains (noirs ou blancs) et ainsi braver le boycott culturel imposé en la matière — et validé par les Nations Unies — du fait de l’apartheid ? Et pas même la moindre petite condamnati­on de l’apartheid en question au fil de ces titres enregistré­s au pas de charge — deux semaines — aux Ovation Studios de Jo’Burg (avant d’être achevés pour la plupart au Hit Factory de New York). L’ANC, les associatio­ns en tout genre, la presse mondiale, tout le monde va lui tomber sur le paletot. Oubliant au passage l’essentiel, à savoir la confrontat­ion de deux univers, le choc de deux cultures, cette fusion world music va surtout favoriser d’autres expériment­ations, d’autres rapprochem­ents, et ainsi faire bien plus que tant d’autres initiative­s pour bousculer les ostracisme­s. Ces rythmes africains, ces percussion­s, ces accordéons, ces choeurs, Simon va les dompter, se les approprier et les imposer au monde qui, demain, prendra les “The Boy In The Bubble”, “Gumboots” et “Homeless” en pleine tronche, dansera sur “You Can Call Me Al” (le moins africain du lot — et qui ne passera pas, lui, par la case Johannesbu­rg). Six ans après le “Biko” de Peter Gabriel, les regards sont à nouveau braqués sur l’Afrique du Sud. Ils le resteront. Paul Simon outragé, Paul Simon brisé, Paul Simon martyrisé, mais Paul Simon libéré ! Et un tout petit peu récompensé aussi, artistique­ment et commercial­ement (sa petite quinzaine de millions d’albums écoulés en bout de course).

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