Beastie Boys
“LICENSED TO ILL” DEF JAM
On peut considérer la réécoute des disques de rap d’il y a vingtcinq ans comme un exercice aussi excitant que le revisionnage des discours de Jean-Pierre Raffarin d’il y a trente-cinq ans. Oui mais “Licensed To Ill” est un truc à part. Gigantesque pied de nez aux conventions, c’est également le disque de trois fils de famille complètement barjots, déconneurs, vulgaires, atroces mais branchés sur ce qui se passe à Brooklyn et dans le Bronx. Ces fameux branleurs ont choisi l’humour, le sarcasme, le coup de pied dans les couilles. Artistiquement tyrannisés par l’empereur du son Rick Rubin, nos trois voyous mettront plusieurs albums à s’émanciper pour devenir ensuite les apôtres d’un politiquement incorrect
correct. Cette corde-là est un peu raide et on peut préférer à beaucoup d’autres ce disque, version ignoblos, craignos à fond les valves, pleine de cris de gouapes, de faux plans n’importe-quoi, jives de rue ramassés dans leur stand à Burger favori (le fameux White Castle de Brooklyn) et mixés sur des guitares terrifiantes — ça aide d’avoir un producteur qui s’occupe de Slayer, ça aide éventuellement aussi de pirater la batterie de John Bonham sur “She’s Crafty” — le tout emballé avec une grande décontraction (les arrangements respirent, le son, aujourd’hui encore, reste énorme). Et on n’a pas encore parlé du tube. “Fight For Your Right To Party” est en quelques semaines devenu l’hymne des buveurs de Bud, Frat boys et autres sophomores (seconde année d’université). C’était la phrase hip, la clef de voûte de l’Amérique reaganienne, le fils à papa, déconneur lâché en goguette avec ses poteaux reconnaissants. Sur scène, le show Bestial voyait Mike D, Ad Rock et MCA se battre pour écluser le contenu d’une centaine de canettes de bière en six chansons, puis faire entrer une danseuse à gros seins enfermée dans une cage qui se dandinait en rythme et en faisant tressauter vous-savez-quoi. Les spectateurs parisiens, rendus furieux par ce spectacle absolument non professionnel, sortirent en masse pour aller massacrer le bus pullman des Beasties garé juste devant le Grand Rex. Mais pour en revenir à “Licensed To Ill”, disons qu’il y avait dedans une sorte de magie. Appelons cela la fascination du vide, mais l’époque était complètement conne et cet album en semblait le plus fidèle reflet.