Rock & Folk

Beastie Boys

- PHILIPPE MANOEUVRE

“LICENSED TO ILL” DEF JAM

On peut considérer la réécoute des disques de rap d’il y a vingtcinq ans comme un exercice aussi excitant que le revisionna­ge des discours de Jean-Pierre Raffarin d’il y a trente-cinq ans. Oui mais “Licensed To Ill” est un truc à part. Gigantesqu­e pied de nez aux convention­s, c’est également le disque de trois fils de famille complèteme­nt barjots, déconneurs, vulgaires, atroces mais branchés sur ce qui se passe à Brooklyn et dans le Bronx. Ces fameux branleurs ont choisi l’humour, le sarcasme, le coup de pied dans les couilles. Artistique­ment tyrannisés par l’empereur du son Rick Rubin, nos trois voyous mettront plusieurs albums à s’émanciper pour devenir ensuite les apôtres d’un politiquem­ent incorrect

correct. Cette corde-là est un peu raide et on peut préférer à beaucoup d’autres ce disque, version ignoblos, craignos à fond les valves, pleine de cris de gouapes, de faux plans n’importe-quoi, jives de rue ramassés dans leur stand à Burger favori (le fameux White Castle de Brooklyn) et mixés sur des guitares terrifiant­es — ça aide d’avoir un producteur qui s’occupe de Slayer, ça aide éventuelle­ment aussi de pirater la batterie de John Bonham sur “She’s Crafty” — le tout emballé avec une grande décontract­ion (les arrangemen­ts respirent, le son, aujourd’hui encore, reste énorme). Et on n’a pas encore parlé du tube. “Fight For Your Right To Party” est en quelques semaines devenu l’hymne des buveurs de Bud, Frat boys et autres sophomores (seconde année d’université). C’était la phrase hip, la clef de voûte de l’Amérique reaganienn­e, le fils à papa, déconneur lâché en goguette avec ses poteaux reconnaiss­ants. Sur scène, le show Bestial voyait Mike D, Ad Rock et MCA se battre pour écluser le contenu d’une centaine de canettes de bière en six chansons, puis faire entrer une danseuse à gros seins enfermée dans une cage qui se dandinait en rythme et en faisant tressauter vous-savez-quoi. Les spectateur­s parisiens, rendus furieux par ce spectacle absolument non profession­nel, sortirent en masse pour aller massacrer le bus pullman des Beasties garé juste devant le Grand Rex. Mais pour en revenir à “Licensed To Ill”, disons qu’il y avait dedans une sorte de magie. Appelons cela la fascinatio­n du vide, mais l’époque était complèteme­nt conne et cet album en semblait le plus fidèle reflet.

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