Rock & Folk

The Neville Brothers

- JEAN-PIERRE SIMARD

“YELLOW MOON” A&M

Ce disque, le classique rock noir de 1989, représente, mine de rien, pour Daniel Lanois et Brian Eno, le voyage inverse de celui effectué avec Talking Heads et John Hassell pour “Remain In Light”. Là, il ne s’agit plus d’injecter de l’Afrique au rock contempora­in pour lui donner le swing qu’il recherche désespérém­ent. Lanois offre aux Neville Brothers une forme à la fois moderne et plus proche de leurs racines néo-orléanaise­s. Le tour de force est là, aussi beau qu’à la première écoute — c’est la juste définition d’un classique : aussi puissant et magique, avec ce je-nesais-quoi de suspendu et de chaud qui se trouve être américain jusqu’au bout des baguettes du batteur, tout en restant antillais et yoruba, la marque de Big Easy (la Nouvelle-Orléans), avec sa culture d’esclave et celle des émigrants français, le son pulsant la vie comme un coeur, les trompettes rugissant en un clin d’oeil festif aux fanfares d’autrefois (“Fire And Brimstone” ou “Wild Injuns”) et les synthés de “With God On Our Side” réinventan­t le vent derrière la voix bouleversa­nte du chanteur. Avant d’être les Neville Brothers, Aaron, Cyrille, Art et Charles étaient les musiciens de studio les plus demandés des années 70, avec ou sans Allen Toussaint (plus grand producteur du lieu), au sein ou en dehors des Meters, le groupe de rock préféré de Keith Richards. Malgré des compositio­ns puissantes, la voix parfaiteme­nt angélique ( gospel school) d’Aaron et le jeu subtil des autres membres, leurs différente­s formules musicales soul, blues ou rock n’avaient pourtant jamais réussi à en faire un groupe de première partie. Et c’est le Canadien-Cajun Daniel Lanois, en artificier du son naturel, avec ses consoles à lampes et ses idées de production à la maison, grâce à l’aide d’un Eno discret et inspiré, qui va leur faire gagner le jackpot avec ces douze titres qui entrent directemen­t dans les charts pour ne pas les quitter durant des mois et en faire un album justement millionnai­re. Pas de recette définie pour celui-ci, une mise à plat de toutes les influences du groupe, comme digérées et rejouées en totale harmonie avec le projet. Le son retrouvé des “Wild Injuns” fermant l’album en restant la plus parfaite illustrati­on.

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