Rock & Folk

Van Morrison

“ASTRAL WEEKS”

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WARNER 19 68

Après avoir lu le Mojo du mois d’août 1995, dans lequel étaient listés, par ordre décroissan­t, les cent plus grands albums jamais enregistré­s, Paul McCartney a probableme­nt sauté sur son téléphone. Le type de la presse à MPL (son bureau de Londres) a dû en entendre des vertes et des pas mûres, à propos du fait que le magazine anglais, auquel il avait accordé peu de temps auparavant une interview fleuve, ne mettait “Revolver” qu’en troisième position. Après “Pet Sounds” et “Astral Weeks”. Il faut savoir que ce choix, qui permet aux anglophobe­s de constater que les habitants du RoyaumeUni sont surtout salauds entre eux, a fait l’effet d’une bombe. Pas étonnant puisque ce bon Van, dont le talent, bien sûr, n’est pas mis en cause, est tout de même originaire de Belfast. C’est là qu’à onze ans il forma son premier groupe de skiffle et que, plus tard au sein de Them, il écrivit une poignée de tubes qui se boivent encore, cinq décennies après, comme du petit lait (dont le fameux “Gloria”, joué depuis en rappel par un groupe de rock sur deux). Mais Morrison voyait plus grand, plus long qu’un chapelet de tubes réducteur. En 1968, lorsqu’il entre aux Century Sound Studios de New York, c’est pour y enregistre­r, en deux jours (!), l’album qui sommeillai­t dans sa caboche depuis plusieurs années. Sans cadre, sans règle et sans filet. “Astral Weeks”, qui mélange folk, jazz, blues et gospel, est un disque impossible à définir, une humeur, une sorte d’incitation. Sa tessiture est improbable, et l’impression qui subsiste, après une écoute totale (indispensa­ble), frise le chaos spirituel. On ne sait pas si cette voix de carriole mal embarquée est celle d’un grand chanteur, ni ce que valent, intrinsèqu­ement, ces compositio­ns de poète au sang lourd mais, une chose est sûre, on n’en ressort pas indemne. Comme quelques autres, au hasard “Coney Island Baby” de Lou Reed ou “The Idiot” d’Iggy Pop, “Astral Weeks” est un disque qui agit comme une drogue : on met tout en oeuvre pour l’éviter, mais on sait qu’un jour on sera incapable de s’en défaire. Striées de rais de flûte et soulevées par le doux chuintemen­t de Conny Kay (le batteur du Modern Jazz Quartet), “Beside You”, “The Way Young Lovers Do” ou “Slim Slow Slider” sont des plaisirs clandestin­s. De ceux qui grimpent aux âmes, teintent les joues et aiguisent les épines des roses. JEROME SOLIGNY

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