Led Zeppelin
“LED ZEPPELIN”
ATLANTIC 19 69
Nous sommes le 18 octobre 1968. Le Marquee va vivre une soirée historique : les New Yardbirds sont à l’affiche. Le nom se justifie par la présence du énième soliste de la divine formation, Jimmy Page. Il avait proposé l’aventure à Terry Reid, chanteur éraillé qui déclina l’offre, suggérant que l’on s’adresse à Robert Plant du Band Of Joy. Et Plant eut l’idée de recruter John Bonham, batteur de Tim Rose. Pour la basse, John Paul Jones, fréquenté en studio, a prouvé son savoir-faire. Des Yardbirds, il subsiste un manager, Peter Grant, ainsi que des bribes de répertoire, “White Summer”, démonstration guitaristique, et ce “Dazed And Confused” auquel Plant insuffle une vivacité inattendue. La puissance de frappe de Bonham est ahurissante. Discret, comme souvent le sont les bassistes, Jones tient son rôle et même plus. On sent qu’une partie de la cohésion musicale lui incombe. Les spectateurs sont fascinés par Page et Plant qui se partagent le devant de la scène. Le guitariste se cache derrière une masse de cheveux noirs. Portant l’instrument plus bas que la hanche, il s’amuse avec l’écho et, comme Eddie Phillips de Creation, caresse parfois ses cordes avec un archet. Voix haut perchée, poitrail glabre généreusement exhibé, opulente crinière blonde, corsage fluide et pantalon moulant, Plant, tout sauf timide ou de bon goût, entretient un flou artistique entre masculin et féminin. Les ados adorent. Ce que font Page & Co n’est pas sans rappeler le Jeff Beck Group dont l’album “Truth” est sorti l’été précédent. Ils optent pour un nom neuf, Led Zeppelin, qui donne son titre au premier album, enregistré à Londres en octobre 1968 par Glyn Johns. “Led Zeppelin” est à la pointe du modernisme, se reposant sur les blues (“You Shook Me”, “I Can’t Quit You Baby”) pour créer une musique pop nouvelle, composite, partiellement acoustique, avec ouverture, quoique de manière homéopathique, sur le folk et le raga oriental. Vu sa densité, on l’étiquette heavy rock (des adeptes dénués de subtilité la caricatureront sous les noms hard rock puis heavy metal). Le triomphe obtenu au Marquee est à l’image des huit années à venir durant lesquelles Led Zep va régner en maître absolu. Aucun autre album n’aura l’impact incendiaire du premier sur lequel le génie de la formation est déjà en évidence, sans fioritures, excuses, ni tergiversations. JEAN-WILLIAM THOURY