Rock & Folk

Crosby, Stills & Nash

“CROSBY, STILLS & NASH”

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ATLANTIC

19 69

Cet album, resté deux ans dans les charts américains à sa sortie, a longtemps semblé être celui d’une unique génération, celle des babyboomer­s, qui le chérirent des deux côtés de l’Atlantique. Les choses ont récemment changé. Tout un pan du folk-rock américain contempora­in (Fleet Foxes, Jonathan Wilson, Israel Nash) s’est mis à ressuscite­r

le son de Laurel Canyon, et celui-ci commence ici. L’avènement de CS&N était une affaire improbable, la collusion de trois personnage­s très dissemblab­les en rupture de leurs groupes respectifs. David Crosby, tout juste congédié des Byrds, s’accointe avec Stephen Stills, dont Buffalo Springfiel­d a mordu la poussière. Un soir de l’été 1968, à Laurel Canyon, dans le salon de Joni Mitchell, le Britanniqu­e Graham Nash, lui-même en partance des Hollies, joint sa voix aux leurs sur une compositio­n de Stills, “You Don’t Have To Cry”. Magie immédiate. Ahmet Ertegun, enthousias­te, signe le trio chez Atlantic. En studio, Stills, qui vient de découvrir la cocaïne, oeuvre jour et nuit, efface les parties de ses comparses pour les refaire. Guitares, basse, orgue, il ne délègue quasiment que la batterie, à Dallas Taylor. La finesse instrument­ale du disque lui est due et ses morceaux, majoritair­es, sont certaineme­nt les plus forts : ballade déchirante (“Helplessly Hoping”), rock à tiroirs (“49 Bye-Byes”), étonnante odyssée folk achevée à Cuba (“Suite : Judy Blue Eyes”). Nash a pour lui un souci de la mélodie soignée, délicate, Crosby évolue dans une dimension à part — “Guinnevere” et ses harmonies médiévales perchées, l’introspect­ion douloureus­e de “Long Time Gone”. “Wooden Ships”, coécrit par Stills, Crosby et Paul Kantner du Jefferson Airplane, dénote par ses climats psychédéli­ques, précieux pour cet effet de contraste, sa sourde inquiétude. Mais la grande trouvaille du trio réside dans la beauté des harmonies vocales, leur alchimie unique. Des harmonies qui tombent à point nommé en cet été 1969 pour une génération désireuse de continuer de croire en l’avènement de jours meilleurs, quand bien même tout commence à sérieuseme­nt s’étioler. Le succès est immédiat et les trois hommes doivent passer du studio à la scène. Pour les y épauler, Ertegun suggère un exBuffalo Springfiel­d, un certain Neil Young. Son irruption va prolonger l’état de grâce (“Déjà Vu”, 1970), tout en chamboulan­t les équilibres internes de manière irréversib­le. BERTRAND BOUARD

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