Nico
“THE MARBLE INDEX”
ELEKTRA
19 69
Des années 60, on ne peut rêver figure plus emblématique, plus fascinante, d’une beauté si parfaite et si effrayante à la fois, que Christa Paffgen dite Nico, étoile insaisissable, filant de New York à Paris, de Londres à Ibiza. Encore auréolée de son passage météorique au sein du Velvet Underground, elle enregistre en 1967 “Chelsea Girl”, référence au film d’Andy Warhol et au célèbre hôtel, haut lieu de la bohème new-yorkaise. Un bon disque et puis la voix est là, grave, profonde, surgissant du fin fond de la brume. Cet album a un gros défaut encore accentué avec le recul du temps : ses arrangements, insupportables cordes, boursouflures encombrantes transformant parfois en une indigeste bouillie pop des compositions formidables. Changement radical en 1968 pour l’album suivant, “The Marble Index”, c’est John Cale l’arrangeur et le duo Nico/ Cale le seul maître à bord. Le dépouillement est total : Nico au chant et à l’harmonium, John Cale au violon plus un peu de guitare. Toutes les chansons sont signées Nico. Le disque est assez court, proposant seulement huit titres, dix sur le CD avec l’ajout de deux inédits, “Roses In The Snow” et “Nibelungen”, mais tout est dit, tout est là, celui qui entre dedans n’en sortira plus jamais. “Facing The Wind”, “Frozen Warnings”, “Julius Caesar (Memento Hodie)”, “No One Is Here”, “Evening Of Light”, ces histoires de vent, de glace et de princes hiératiques peuplent de sombres déserts, de vastes étendues, terres et mers de cauchemars, de solitude et de peurs ancestrales, effroi qui transparaît aussi dans les comptines enfantines comme celle que la chanteuse raconte au petit Ari, son fils (“Ari’s Song”). La voix, pratiquement mise à nue, à la fois sensuelle et glaciale, hautaine et émouvante, atteint une forme de perfection en dominant les sons torturés émis par l’harmonium et l’archet incisif de John Cale qui sait mieux que personne construire l’écrin pour mettre en valeur chanteurs et musiciens (voir les Stooges, Modern Lovers, etc). Un disque rare, hors du temps, des courants, des modes, simplement à part, dans son propre univers, inclassable. Trop décalé pour l’époque, “The Marble Index” n’eut qu’un modeste succès d’estime, mais passe les outrages du temps sans aucune ride, immaculé comme le visage de Nico. “Desertshore”, trois ans plus tard, prolongera cette magie. PHILIPPE THIEYRE