The Soft Machine
“VOLUME TWO”
PROBE
19 69
Il y eut quelques mois où même les minables faisaient de bons disques. La situation de Hugh Hopper, Mike Ratledge et Robert Wyatt était moins confortable : ces types étaient trop doués. “Sacre du Printemps” psychédélique, leur deuxième album propose déjà, avant même que le genre n’explose, un autre voyage. Soft Machine, formation Swinging London par excellence, n’en convoque jamais les poncifs, sitar et cordes Bombay pour scènes de jerk Persuaders. Basse et orgue plongés dans la fuzz, un peu de piano, l’usage modéré (pour l’époque) de l’écho et une voix d’Adamo sous pastilles explorent, effleurent, cherchent et trouvent sans démontrer. La production, subordonnée aux idées qu’elle suscite, néglige la forme, déconcertante. On retrouvera chez Can ces manières frustrantes, laissant entrevoir les choses en disposant à la hâte les pressentiments. Sortie en beauté du cahier des charges rock, la musique de la joie ne s’arrête jamais, intense et inspirée. Ce qu’il y a de plus beau sur Terre se trouve dans la vingtaine de mesures de “Pataphysical Introduction Part 2”. Si Soft Machine se pique de jazz, c’est un jazz idéalisé, libertaire, ignorant les montées de gammes et procédés modaux qui vont rendre l’improvisation tellement... prévisible. Ce n’est pas le seul domaine que nos amis abordent en touristes : il y a chez certains groupes anglais une attraction bien compréhensible pour le Bassin méditerranéen, paysages de version latine, cyprès, jeunes femmes drapées, éphèbes à cheveux bouclés et sandales Palais des Papes. L’imagerie pompéienne culminera avec le “666” d’Aphrodite’s Child et le Pink Floyd de “Ummagumma”, “More” et “Meddle”. Elle prolonge les escapades tropéziennes des Soft Machine été 1967, leur prestation naturiste au Festival de la Libre Expression et ce light show total dont ils sont les inventeurs. Tout est là, en filigrane et spontanéité, dans ces morceaux qui persistent à surprendre après plusieurs centaines d’écoutes. Cette tragédie psychédélique annonce toutes les dérives et en sublime quelques autres, ébauche d’une musique solaire qui porte en germe sa propre mort. BERTRAND BURGALAT