Johnny Winter
“SECOND WINTER”
COLUMBIA
19 69 Joie des rééditions, “Second Winter” est désormais couplé à un sensationnel concert capté au Royal Albert Hall en avril 1970, comportant de grandioses versions de “Frankenstein”, “Tobacco Road” ou “It’s My Own Fault”. Voilà qui n’écorne guère son statut de monument de la guitare fin sixties, à ranger aux côtés des stèles
hendrixiennes ou claptoniennes. Johnny Winter a pu exprimer certaines réserves sur “Second Winter”, sa direction plus rock, le choix de certains morceaux lui ayant été suggéré par son ambitieux manager, Steve Paul, qui ne voyait aucun avenir à se cantonner au blues strict du premier album, “Johnny Winter” (1968). Les puristes l’accusèrent d’avoir vendu son âme, Winter y fut sensible, mais ils n’avaient rien compris à l’affaire. Enregistré à Nashville au cours de l’été 1969 et illustré par un montage photo de Richard Avedon, “Second Winter” est le seul des albums de l’Albinos texan à exposer autant de facettes de son art. C’est également le dernier fomenté avec son premier groupe, soit Uncle Joe Turner (batterie) et Tommy Shannon (basse), renforcé du saxophone et des claviers d’Edgar Winter. C’est peu dire que les gaillards, soudés par des années à écumer les clubs du Texas et du Deep South, rugissaient avec une extraordinaire unité et savaient dégoupiller le rock’n’roll — “Slippin’ And Slidin’ ”, “Johnny B Goode” ou “Miss Ann” rappelant au passage combien Winter était un formidable shouter, sa voix aussi électrisante que sa guitare. Outre un blues électrisé (“Memory Pain”) ou un étonnant jump blues (“I Hate Everybody”), l’album fait la part belle à des morceaux novateurs, fondés sur le blues mais qui intègrent l’esprit psychédélique de l’époque : “I’m Not Sure” (formidable course poursuite harpsichord/ guitare), “The Good Love” et ses fusées envoyées à la wah-wah, “Fast Life Rider”, qui braconne sur les terres — brûlées — du Voodoo Chile. Et de la même manière que ce dernier avec “All Along The Watchtower”, Winter part d’un souffle dylanien pour convoquer un ouragan, à grands coups de slide (“Highway 61 Revisited”). Winter poussera toujours plus vers le rock dans ses albums suivants, avant de rebasculer vers le blues dans la seconde moitié des seventies — mais ce son crémeux, cette façon de glisser sur l’éther pour y laisser des traînées brûlantes, cette inspiration renversante, il ne les retrouvera jamais exactement. BERTRAND BOUARD