Karen Dalton
“IT’S HARD TO TELL WHO’S GOING TO LOVE YOU THE BEST”
CAPITOL
19 69
Lorsque cet album a été réédité en 1997 pour la première fois depuis sa sortie initiale en 1969, le choc fut rude chez ceux, nombreux, qui ignoraient tout de Karen Dalton. A l’époque, Madeleine Peyroux, bien qu’ayant déjà fait des disques, n’était pas encore tout à fait formée, et les chanteuses sonnant comme Billie Holiday n’étaient pas légion. Dès les premières mesures de “Little Bit Of Rain” de son ami Fred Neil, la voix de Karen Dalton fait des ravages. Deux titres plus loin, sur sa version du traditionnel “Ribbon Bow”, il était évident qu’on tenait là quelque chose d’extraordinaire, comme lorsqu’on avait entendu Nick Drake pour la première fois. Qui était donc cette bonne femme au physique ingrat et à la voix possédée, jouant du banjo et de la douze-cordes avec une rare intensité ? Née en 1937 et morte en 1993 dans le plus grand dénuement, elle fut une petite héroïne du mouvement folk de Greenwich Village : Dylan lui-même la tenait en grande estime. En 1969, elle sortait ce premier album produit par le mythique Nik Venet, merveille de dépouillement tournant autour de compositions de Neil, Leadbelly, Jelly Roll Morton, Tim Hardin, Leroy Carr, etc. Sa lecture de “It Hurts Me Too”, popularisée par Elmore James comme celle de “In The Evening” sont des monuments insurpassables d’expressivité. Désormais exilée à Boulder (Colorado), ville aimantant marginaux et hippies, elle vit pauvrement, puis sort, en 1971, son dernier album, “In My Own Time”. Un disque plus accessible et sans doute plus conventionnel — quoique, chez Karen Dalton, toute notion de convention soit à prendre avec des pincettes — qui sera, une fois de plus un échec. C’est un bel album, le favori de Nick Cave, mais on lui préfère le premier, plus brutal dans sa singularité, ignorant toute forme de concession. On y entend son banjo, ses douze-cordes, une contrebasse et un peu de guitare. Et partout, cette voix sonnant comme une trompette désolée, donnant un sens flippant aux mots “I’ll never get out of these blues alive”. La fin de sa vie, lorsqu’elle se clochardise et se convertit à l’alcool comme aux drogues dures, sera une longue descente aux enfers, jusqu’à sa disparition au début des années 90, alors qu’elle est complètement oubliée. On a rarement vu destinée plus tragique dans l’histoire de la musique populaire d’après-guerre. NICOLAS UNGEMUTH