Jimi Hendrix
“BAND OF GYPSYS”
CAPITOL
19 70
Il y a des responsabilités parfois épuisantes. En 1970, Jimi Hendrix ne sait plus où il en est. Tout est arrivé trop vite, l’explosion de son talent, la reconnaissance universelle, l’adulation des foules, le respect figé de ses pairs. Hendrix n’en peut plus. On lui demande trop, il n’a plus le droit d’être simplement génial, on exige qu’il soit génial à tous les coups. Après avoir donné une série de concerts bancals qui reflétaient ses tourments, il décide d’arrêter net cette infernale machine à explorer le futur et de revenir à ses racines. L’homme n’est pas né sur Mars mais à Seattle et il a grandi en écoutant BB King, James Brown, Muddy Waters, des garçons qui, eux mêmes, avaient connu les champs de coton, les coups de fouets et le blues joué sur de vieilles grattes rafistolées. Une évidence se réimpose à lui : il est noir. Il appelle donc deux potes, le batteur Buddy Miles et le bassiste Billy Cox, et en leur compagnie redécouvre les joies du funk et de la soul. Le 31 décembre 1969, Jimi et son Band Of Gypsys prirent possession de la scène du Fillmore East de New York et y donnèrent un concert mémorable qui — fort heureusement pour nous — fut enregistré. Mais peut-on faire du funk classique quand on s’appelle Jimi Hendrix ? S’appuyant sur cette solide rythmique black, il s’envole, se laisse emporter dans un tourbillon électrique où la virtuosité n’est là que pour soutenir le feeling. Certes Billy Cox ne déborde pas d’imagination mais son soutien linéaire efficace vaut très largement les délires de Noel Redding qui — Jimi s’en plaignait souvent — provoquait régulièrement de spectaculaires sorties de piste. Ici, rien de tout cela. Jimi s’est fendu de cinq compositions originales dont “Machine Gun”, violent pamphlet électrique contre la guerre du Vietnam. Sous des riffs tranchants comme des lames de rasoir, il utilise son instrument pour imiter les crachats saccadés des mitrailleuses et, en jouant de l’effet larsen, évoquer le bruit sourd des forteresses volantes et les sifflements des bombes qu’elles larguent. Depuis la mort de Jimi Hendrix, le monde a été enseveli sous un monceau de rééditions de concerts plus ou moins inédits, aucun n’approche la qualité musicale et émotionnelle de celui-ci, cocktail explosif de rock blanc et funk noir. SACHA REINS