Free
“FIRE AND WATER”
ISLAND
19 70
Avant de fonder Bad Company avec Mick Ralphs, The Law avec Kenny Jones et The Firm avec Jimmy Page, Paul Rodgers établit sa réputation grâce à Free. Sur la pochette de “Fire And Water”, Rodgers, Paul Kossoff, Andy Fraser et Simon Kirke, chevelus comme le veut l’époque, regardent l’auditeur droit dans les yeux. C’est leur troisième album. Sur les premiers, “Tons Of Sob” et “Free”, ils avaient préféré ne pas mettre leur faciès en évidence, pour les suivants, “Highway”, “Live”, “At Last” et “Heartbreaker”, ils reviendront à cette discrétion. “Fire And Water” constitue une exception, décisive dans la carrière du groupe, pour une autre raison : l’inclusion de son plus grand succès, “All Right Now” (ici présenté en version différente, plus longue que sur le 45 tours). L’album recèle sept titres, uniquement des originaux. Certains sont assez longs, tous sont canon. Délivrés du british blues qui leur servit de tremplin, les quatre Free ont tout simplement inventé un style, parfois lourdement musclé (instoppable “Mr Big” avec tous ses suspens), à d’autres moments d’une délicatesse inouïe (“Oh I Wept”). Rodgers, solide, sympathique, puissant et souple, la voix éraillée juste ce qu’il faut, ne donne jamais l’impression du moindre effort. Son principal complice en écriture, Andy Fraser, encore presque gamin, imagine ces incroyables lignes de basse chantantes, sous les éventuelles influences conjuguées et bénéfiques de Paul McCartney, Donald
Duck Dunn et Jack Bruce, mais d’une manière quasiment mélodique qui lui est propre — il n’hésite d’ailleurs pas à partir en solo si on lui en laisse la liberté. Ceci est compensé par l’approche épurée, sans fioriture, notamment au niveau des cymbales, de Simon Kirke. Reliant tous ces éléments avec un tact, un goût très sûr (choix des notes et des sonorités), Paul Kossoff (1950-1976) tire sur les cordes de l’une de ses Les Paul, Gold Top ou Tiger, branchée sur un Marshall trois corps, parfois via une cabine Leslie, comme si Albert, Freddie et BB King le surveillaient du premier rang. A l’instar de Kirke, il cultive la parcimonie, ne donnant toute sa puissance qu’au moment opportun. Par quelle facétie du destin ces quatre musiciens exceptionnels, tous élégantissimes, se sont retrouvés au sein de la même formation ? Miracle de l’émulation et de l’exigence mutuelle, sans doute. JEAN-WILLIAM THOURY