Elvis Presley
“THE SUN SESSIONS”
RCA
Cet album est une compilation de faces plusieurs fois rééditées. Dès le mitan des seventies, les gens de RCA se rendent enfin compte qu’il manque aux auditeurs une pièce fondamentale du puzzle Elvis : ses débuts chez les disques Sun. C’est là, dans le studio de Memphis que l’impétrant Elvis tente l’aventure avec le guitariste Scotty Moore et le bassiste Bill Black. Au début, Elvis est raide, gourmé, et le producteur Sam Phillips sent la séance tourner à la déconfiture. Et puis soudain, en fin de journée, c’est l’éclair : Elvis commence à chanter en mode déconne “That’s All Right”, blues de Big Boy Crudup. Ayant grandi dans le ghetto de Memphis, Elvis utilise à merveille le phrasé du bluesman, son argot, sa manière de hoqueter le message... Tout ici respire la musique noire. A ce détail près : le chanteur est blanc. Et il indique sans ambiguïté son message : “black is cool”. Ce que ressentiront instantanément des milliers de teenagers de la région de Memphis lorsque ce premier 45 tours explose sur les ondes locales, relayé par le DJ Dewey Phillips. Dans un Sud où il est interdit de représenter les Noirs, où les places assises des bus sont réservées aux Blancs, où à l’église même, la foule des croyants se sépare pour prier (les Blancs d’un côté, les Noirs de l’autre), ce disque aura l’effet d’une bombe à annihiler les racistes, bigots et autres bien pensants. C’est cela, le premier effet du rock’n’roll. Très vite Elvis commence à sillonner le Sud avec d’autres chansons (“Good Rockin’ Tonight”, “Baby Let’s Play House”). La réaction est instantanée. Elvis creuse le trait et impose son personnage de héros de la nouvelle jeunesse mondiale, celle qui refuse racisme et ségrégation, pauvreté et misère. Aujourd’hui que les Sun Sessions sont préservées par la Librairie du Congrès Américain, il faut rappeler l’importance de ces petits enregistrements publiés en mitraillade serrée, sous forme de 45 tours ornés de la légendaire étiquette dorée. Considéré par beaucoup comme le premier 45 tours rock’n’roll, “That’s All Right” devient le Graal des collectionneurs (un exemplaire d’origine absolument intact a été récemment revendu 17 820 dollars sur eBay). Deux ans plus tard, la major RCA enregistre l’étonnante croisade d’Elvis à travers le Sud des Etats-Unis. Le découvreur Sam Phillips ne saura refuser la somme de 35 000 dollars à lui offerte pour revendre son poulain aux disques d’or.