Michel Polnareff
“POLNAREFF’S”
DISC’AZ
On a le sentiment que Michel Polnareff savait que les carottes étaient cuites lorsqu’il fit paraître ce quatrième album en janvier 1971. La bouche pleine de mots à lui, signés Jean-Loup Dabadie ou Pierre Delanoë, il dressait déjà le bilan d’une carrière débutée cinq années auparavant. Fils de compositeur élevé à Paris, Michel Polnareff décroche un premier prix de conservatoire à l’âge de douze ans. Au cours d’un séjour à Bournemouth, il se découvre une passion pour les chanteurs rock et les écrivains beat. Mêlées à sa propre culture classique, ces influences factieuses vont créer un mélange détonnant dans son esprit embrumé par des rêves d’évasion — aux petits boulots, il préfère la manche et la route et un grave complexe d’infériorité dû à son physique qu’il ne tolère pas. Il publiera dès 1966 une impressionnante série de tubes inclassables et somptueux transcendés par sa voix d’ange blessé. Mais il surpasse tant ses pairs que la solitude morale et affective le gagne immanquablement et il se réfugie dans la provocation tous azimuts. On parle de mégalomanie quand il aborde de manière toujours grandiloquente les sujets tabous de l’époque. Le décalage entre lui et les autres est d’ores et déjà instauré et c’est dans la fuite éperdue qu’il tentera en vain de trouver un semblant de salut. Les onze chansons de “Polnareff’s” constituent l’essentiel du spectacle Polnarévolution de l’Olympia, pour la promotion duquel il afficha ses fesses sur les murs de Paris. Condamné pour cet affront, il s’exilera peu après aux USA. Très Michel Legrand, “Né Dans Un Ice Cream” et “Petite Petite” le présentent en partance, ses certitudes comme seul bagage (“On dit de moi que j’ai un physique de triple croche/ Génie
fou de musique”). Plus pop, “Le Désert N’Est Plus En Afrique” ou “A Midi, A Minuit” appuient sur l’incompréhension qui fait mal au coeur et aux sens, et “Qui A Tué Grand’Maman ?” se révèle un vibrant hommage à Lucien Morisse qui les découvrit, son talent et lui. “Monsieur L’Abbé” et son riff à la wahwah bloquée, ruent dans le brancard de la religion alors que l’atypique “Hey You Woman”, rap psychédélique, sidère par sa folie. En avance sur son temps, ce futur fou d’internet compose également pour le disque, à une époque où l’ordinateur est encore du domaine de l’assomption, l’instrumental féerique “Computer’s Dream”.