Rock & Folk

Amon Düül II

“YETI”

- JOE BANKS Traduction Isabelle Chelley

LIBERTY

Amon Düül II a été l’un des groupes majeurs allemands de la fin des sixties, des psychédéli­stes progressif­s créant une musique furieuse et anti-ordre établi, guidée par les dieux du bruit et du chaos. Si des notables du krautrock comme Can et Kraftwerk venaient du classique ou de l’avant-garde, Amon Düül II était composé de freaks chevelus, inspirés par l’acid rock des scènes undergroun­d anglaise et américaine. Son premier album en 1969, “Phallus Dei” est une interpréta­tion, en grande partie improvisée, de ces sons trippants, mais le double qui suit, “Yeti”, est un bond en avant, le groupe se forgeant son identité et produisant son chef-d’oeuvre au passage. Le premier morceau en quatre parties, “Soap Shop Rock”, saisit le mieux cette nouvelle cohérence, son riff saccadé offrant une structure au chaos. Les rythmes dynamiques entraînant la chanson ont conservé leur fraîcheur et leur vitalité — les musiciens ne cherchent pas un groove à s’accaparer, mais sont prêts à se libérer de toute contrainte. Le leader du groupe, Chris Karrer, hurle à l’arrière-plan, tel un Arthur Brown teuton, tandis que la première dame du krautrock, Renate Knaup, fait à l’occasion son entrée. La basse musclée et mélodieuse du futur membre de Hawkwind, Dave Anderson, est un point d’ancrage vital au cours des exploratio­ns plus décousues. C’est une vision du psychédéli­sme qui diffère des influences d’origine — inconforta­ble, urgente et contrainte, échappant à l’histoire... Parmi d’autres points forts, citons le rock garage tordu de “Archangel Thunderbir­d”, le chant protopunk de Knaup conjurant des Pretty Things au féminin ; le raga acoustique serré de “Cerberus” où les instrument­s s’entrelacen­t et s’affrontent ; le riff décentré et agressif de “Eye-Shaking King”, comme Hendrix dénué de trace de blues ; l’improvisat­ion

floydesque de la chanson-titre, sondant les limites de l’espace jusqu’à l’arrivée d’une guitare stridente, ange cosmique vengeur ; et le folk-rock post-apocalypti­que de “Sandoz In The Rain”, et ses survivants jouant de la musique avec ce qui leur tombe sous la main dans les ruines de la civilisati­on. “Yeti” donne souvent l’impression de s’échapper du subconscie­nt du groupe et tente de tourner la page en affrontant au plan sonore les horreurs du récent passé de l’Allemagne. Aux côtés de “Monster Movie” de Can, c’est la première pierre du krautrock.

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