Rock & Folk

Captain Beefheart & The Magic Band

“THE SPOTLIGHT KID”

- CYRIL DELUERMOZ

REPRISE

Juste au moment où les lycéens, acheteurs invétérés de disques, commençaie­nt à se demander si le blues pouvait devenir musique à ce point hydrophile (Clapton), desséchée (Ten Years After) et lyophilisé­e (Mayall), parut “The Spotlight Kid”, album gluant, sale et jovial dont le premier titre pourrait se traduire par “J’vais t’passer la caverne

au Kärcher (baby)”. Depuis Howlin’ Wolf et Muddy Waters, on n’avait entendu pareilles admonestat­ions sexuelles. Le deuxième titre abandonne le boogie lourd pour une gamme japonaise. Sujet : cette mystérieus­e confiture blanche (“White Jam”) qui parfois entre deux draps, au milieu de la nuit, surgit. Extraordin­aire solo d’harmonica. Clairement, Beefheart est sur le chemin des concession­s. Ce boulot de plus grand chanteur de tous les temps, il l’espère, le réclame, le revendique. Il se résout donc à structurer ses blues. Quant à son groupe, savant mélange de pointures complexées et d’idiots singeurs, il donne l’illusion d’un orchestre en danger permanent. Pour les petits Français de l’époque, ce disque pratiqueme­nt pop mais barré grave dans des fantasmes hardcore sera donc une bénédictio­n divine. Le signe tangible que, quelque part en Californie, ou ailleurs d’ailleurs, des musiciens continuent de chercher, élaborant une musique hormonale d’une complexité inouïe, traversée de bruits de xylophone sans doute joué sur des os d’ancêtres mayas sacrifiés par les troupes pirates du grand Captain. Sur “When It Blows It Stacks”, un génial guitariste tutoie dieu et diable avant de laisser place à un prêche du chanteur : “Vous toutes les filles/ Faites pas d’erreur/ Froid comme le cobra/ Il dort dans l’ombre/ Mais quand il souffle/ Il craaaaaach­e.” Depuis “LA Woman” et les visions de Grand Serpent Rampant de Morrison mourant, nul n’avait été convié à pareille orgie. D’autant que Beefheart lui-même produit cet effort, mettant en valeur Zoot Horn Rollo, Rockette Morton, Winged Eel Fingerling et Ed Marimba. Tout ce disque est démontable comme un lubrique Lego du Delta : harmo de Little Walter, retours de manivelles défalqués sur John Lee Hooker, virages fuzzy glauques repérés chez Buddy Guy. Le blues est une musique de terreur. Et Don Van Vliet est son grand prêtre.

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