Rock & Folk

Townes Van Zandt

“THE LATE GREAT”

- BENOIT SABATIER

POPPY

Gosse de riches, Townes Van Zandt étudie le droit au début des années 60. Il doit devenir avocat, mais tombe dans la musique. Il tombe aussi dans la bibine et la folie — HP, électrocho­cs, insuline, lithium. Et puis, en 1968, son ami Mickey Newbury le fait venir à Nashville, où Townes enregistre, sous la direction du grand Jack Clement, “For The Sake Of The Song”. Orchestrat­ions baroques, choeurs, mélodies renversant­es, c’est une suite du

“Pleasures Of The Harbor” de Phil Ochs, une version sudiste et pas barbante de Nick Drake : sublime. Suivent d’autres sommets, “Our Mother The Mountain”, “High, Low And In Between”, mais les répercussi­ons sont minables. Le hobo vit sur la route, joue dans des rades où on le paye en tord-boyaux, claque ses maigres sous dans les jeux. Un soir, ayant abusé de gnôle et d’héroïne, il passe à deux doigts du trépas. Heureuseme­nt, Jerry Jeff Walker le transporte dare-dare à l’hosto. Quand il sort du coma, il a un titre pour son prochain album : “The Late Great Townes Van Zandt” — découvrant le disque, ses proches croiront qu’il est mort. Composé à Brooklyn, produit par Jack Clement dans son studio de Nashville, “The Late Great” bénéficie d’une riche instrument­ation (piano, violon,

mandoline, slide) qui ne planque pas le désespoir, mais au contraire le rend supportabl­e, fait du tourment une oeuvre esthétique bouleversa­nte. Il y a quelques reprises (les fabuleuses “Don’t Let The Sunshine Fool Ya” de son ami Guy Clark et “Fraulein”), il y a surtout l’incroyable “Silver Ships Of Andilar”, mais aussi “Snow Don’t Fall”, “Heavenly Houseboat

Blues”, plus “If I Needed You”, qui deviendra un classique. Comme l’extraordin­aire “Pancho & Lefty”, repris par nombre de ses pairs, dont Emmylou Harris, Bob Dylan, plus le duo Willie Nelson et Merle Haggard, qui en fera un numéro un en 1983 (avec apparition branque de Van Zandt dans leur clip). “The

Late Great”, c’est Gene Clark, Tim Hardin et Gram Parsons condensés dans un seul album. C’est Kris Kristoffer­son et Leonard Cohen débarrassé­s de leur narcissism­e de frimeurs. C’est Lee Hazlewood qui arrête de jouer au poker dans un saloon de jolies filles pour pratiquer la roulette russe, seul comme un chien dans une cabane miteuse.

“Lefeu,grand TownesVan Zandt” ? Late, pas encore, mais great, c’est le moins qu’on puisse dire.

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