Rock & Folk

The Rolling Stones

“EXILE ON MAIN ST”

- ALAIN DISTER

ROLLING STONES

Soyons clairs : il y a une vie avant “Exile...”. Et une vie après “Exile...”. On parle de la vie des Stones, bien sûr, pas de la nôtre, qui a d’autres chats à fouetter de toute façon. Expliquons : avant, il y a cinq mecs pas vraiment comme il faut. Des gueules de branleurs et de m’as-tu-vu. Flanqués d’un manager, Andrew Loog Oldham, les encouragea­nt vivement à ne rien faire, surtout rien qui puisse les gentrifier. Ces types finissent régulièrem­ent leurs nuits au poste, avec de sales histoires de dope, de gonzesses à oualpé, de bagnoles à cent briques enroulées autour d’un platane. La vraie vie rock’n’roll, quoi. Et pas seulement. Il y a du blues aussi là-dedans. Sa face la plus noire, la plus jetée, la plus dure à porter certains jours. La part du diable. Arrive “Exile On Main St”. Brian Jones est au paradis des poètes shelleyens. Mick Taylor l’a remplacé depuis un moment. Une fameuse lame, ce Mick Taylor. A fait ses classes chez John Mayall, pigé plein de trucs chez les vieux briscards du Delta et des beer-joints de Chicago, créé un son (il suffit d’écouter ses chorus sur “The Train” avec les Bluesbreak­ers on

the road...). Un type comme ça, même discret, n’a aucune raison de se faire tancer par un blanc-bec comme Jagger. Et là, tout bascule, à l’intérieur même de l’album. Mick Taylor va claquer la porte incessamme­nt et laisser la place au brave, mais bon, insuffisan­t Ron Wood pour trop de galettes à venir. Les Rolling Stones vont s’enfermer dans leur mythe. Prendre le contrôle de leur image, gommer le sulfureux pour garder les paillettes. Tiens, un indice, mieux, une pièce à conviction : cette pochette, signée Robert Frank. Tout ce qui reste de cette tournée 1971, filmée caméra-stylo par le même Frank. Mick Jagger a fait interdire le film “Cocksucker Blues”. Parce que, justement, on y voit les Stones (enfin, certains...) salement compromis dans des histoires de dope et de gonzesses à oualpé. Après “Exile On Main St”, les Pierres se la joueront respectabl­es. Pendant “Exile...”, on peut encore croire que ces chers Rolling Stones, joyeux cancres dont la simple apparence justifiait nos errances, nos délires et nos dérapages, sont restés nos lointains complices. Après “Exile...”, on ne fera définitive­ment plus partie du même monde.

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