Rock & Folk

Roxy Music

“ROXY MUSIC”

- JEROME SOLIGNY

ISLAND

Etait-il bien raisonnabl­e de faire confiance à un type capable de citer, en 1971, Smokey Robinson et Marcel Duchamp dans la même phrase ? Par ailleurs, que fallait-il penser d’un groupe constitué d’un hautboïste qui rêvait d’être ailleurs, d’un guitariste finalement accepté au bout d’une audition de trois jours, et d’un drôle de type aux synthés, qui préférait jouer et chanter du fond de la salle ? En fait, personne n’a rien compris à Roxy Music. Ni la presse de l’époque, ni son label. Ni le public, ni les critiques. “Roxy Music”, l’album, n’a ni queue ni tête. Ou plutôt, à voir le tableau de chasse du chanteur aujourd’hui, avait une queue à la place de la tête. Il suffit de prendre le premier morceau, “Re-Make/ Re-Model” : au bout d’une minute et demie de folie martelée, on est déjà en route pour un instrument­al de 45 secondes qui inspirera, à vue de nez, David Bowie, James White, Devo, les Stranglers et Trevor Horn. Titre suivant, “Ladytron”. Eno la Bidouille et Mackay à l’orée de son hautbois commencent par découvrir le planant, l’ambient, le très beau, bref, tout ce qui s’écoute en tailleur sur un pouf ou sous la douche éteinte. Puis, Ferry, avec sa voix de martyr de salon, expédie la chanson dans la cinquième dimension, avant que n’arrive finalement Manzanera, chevauchan­t à cru son manche de guitare et lâchant la cavalerie dans ses cordes. Des morceaux comme ces deux-là, il y en a dix dans l’album, il faudrait les citer tous. Mais un tel groupe, il n’y en a eu qu’un. Ferry rêva Roxy et Roxy ferra Ferry. Bryan était né pour fricoter avec la gloire et fonder le groupe le plus original des années 70 faisait bien évidemment partie de sa stratégie. Opulent, expériment­al, visuel — “2 HB” est un hommage au cinéma de Bogart — “Roxy Music” reste aussi mystérieux que controvers­é. Ce disque changea la face du rock anglais, aussi bien qu’il traumatisa son instigateu­r. C’est d’ailleurs pour échapper à ce piège que Brian Eno s’enfuira dès l’année suivante. Combien de passion torride, combien d’illusions arty, combien de fantasmes sépia faut-il pour asséner avec autant d’aplomb des chansons, une musique, un son de ce calibre ? “Roxy Music” est le “Sgt Pepper...” undergroun­d de la pop décadente et il coulera encore sûrement beaucoup de salive et d’encre avant qu’on assimile tout à fait ce monstre de beauté cinglante, ce rock si music.

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