Rock & Folk

Bobby Charles

“BOBBY CHARLES”

- BERTRAND BOUARD

BEARSVILLE

La pochette résume l’affaire : voici l’album d’americana laid

back par excellence, merveille longtemps tombée dans les limbes de l’histoire. Lorsqu’il s’installe à Woodstock en 1971, Bobby Charles peut se targuer d’un parcours des plus étonnants. Ce Cajun, né en 1938 à Abbeville (Louisiane), a une quinzaine d’années lorsqu’il fredonne par téléphone à Leonard Chess une idée de chanson, “See You Later, Alligator”. Propulsé en haut des charts par Bill Haley, le classique en devenir vaut à Charles d’enregistre­r et d’écrire pendant une dizaine d’années pour Chess, éminent label de blues de Chicago dont il est le seul artiste blanc. Il compose ensuite pour Fats Domino, notamment le hit “Walking To New Orleans”. Réfugié à Woodstock suite à une histoire de marijuana à Nashville, Charles a vite fait de se fondre dans la communauté de musiciens des collines du nord de l’Etat de New York. Il sympathise avec les membres du Band, particuliè­rement le bassiste Rick Danko, et concocte une démo qui séduit Albert Grossman, le tout puissant manager du groupe canadien, qui le signe sur son label, Bearsville. Toute la communauté met la main à la pâte : Danko, Levon Helm, Richard Manuel, Garth Hudson (les stars du Band), le guitariste Amos Garrett, Dr John, le saxophonis­te David Sanborn... Country, rhythm’n’blues, New Orleans, l’album est d’une simplicité trompeuse : personne n’a mieux capté l’indolence d’une rêverie en bord de rivière (“I Must Be In A Good Place Now”), la langueur des corps dans l’après-midi (“Let Yourself Go”, avec la pedal steel divine de Ben Keith), la frénésie des jeunes années (“Grow Too Old”)... Charles moque (subtilemen­t) l’avidité de Grossman (“He’s Got All The Whiskey” et ses cuivres qui grondent dans le fond), médite l’hypocrisie ordinaire (“Small Town Talk”, poussé par l’orgue funky de Dr John) et revendique l’indolence face aux foules qui se pressent chaque matin pour gagner de l’argent (“Street People”). L’album passa totalement inaperçu à sa sortie et Charles s’en retourna en Louisiane, livrant des enregistre­ments sporadique­s jusqu’à sa mort en 2010, à Abbeville. Objet d’un culte bien légitime, le disque a fait l’objet d’une réédition en 2011 qui lui ajoute moult bonus tracks ainsi qu’un intéressan­t album inédit de 1974. Il est aujourd’hui vénéré par des gens aussi différents que Vetiver, Stephen Malkmus ou Devandra Banhardt.

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