“Nuggets”
“ORIGINAL ARTYFACTS FROM THE FIRST PSYCHEDELIC ERA”
ELEKTRA
Le choc culturel que ce double album publié au milieu de l’ennui des années 70 a provoqué reste aujourd’hui inégalé. Concocté par Lenny Kaye qui mit très vite en pratique les préceptes de son travail en rejoignant le Patti Smith Group, “Nuggets” est une anthologie de mini-hits garage qui éclosent à la suite de l’explosion Beatles/ Stones de 1964. Vingt-sept pépites dans lesquelles la génération Viêt-nam inventait la psychédélie et le punk rock. Sorti en 1972 (et réédité en 1998 par Rhino démultiplié en un indispensable coffret 4-CD), “Nuggets” montra au monde à quel point la pop music s’était éloignée de sa folie originelle en l’espace de cinq ans. Primal, violent et décomplexé, le rock’n’roll de cette époque semble vouloir toucher à tout, défiant ouvertement l’auditeur à se joindre à lui ou à s’aligner du côté de ses opposants. L’immortel “Louie Louie”, au cours duquel le batteur perd une baguette et le chanteur bégaie, se trompe et marmonne des paroles que le FBI soupçonnera de satanisme pervers — toute bonne chanson de rock’n’roll devrait aspirer à un tel pedigree — est très certainement le morceau emblématique du lot, un chef-d’oeuvre concocté par miracle, par hasard. Car l’incapacité musicale de ces groupes leur autorise pourtant des expérimentations proches de l’inconscience. Les virevoltantes pirouettes guitaristiques sont évidemment foison, mais les plus fascinantes audaces sonores restent celles provoquées par les voyages lysergiques de psychédélistes naïfs et prosélytes, même si l’acide montre parfois sa face sombre. Déjà, le Viêt-nam et l’héroïne laissent planer un nuage de mort sur une époque éphémère. Les rythmes se pervertissent et le sinistre “I Can’t Seem To Make You Mine” des Seeds, qui n’est rien sinon une ode à la nécrophilie, manifeste un pessimisme prophétique et s’exclut de lui-même dans une déprime agressive et opiacée. Pas un seul de ces groupes ne survécut aux années soixante et c’est tant mieux. Mais leur héritage, lui, est bien vivant. L’ecstasy, la techno, la jungle, les raves, les white labels, la psychédélie joyeuse ou les sombres rythmes aiguillés dans le sens des veines sont la résurgence électronique de l’hédonisme idéaliste du temps où le rock’n’roll avait un sens. Qu’il retrouvera peut-être un jour, qui sait ?