Rock & Folk

LittleFeat

“DIXIE CHICKEN”

- BERTRAND BOUARD

WARNER BROS

Certains mastodonte­s sixties et seventies ont eu des héritiers par wagons, au point de donner leur nom à un genre (rock stonien, stoogien...). Little Feat, pour sa part, reste sans descendanc­e. Ses zélateurs comptèrent pourtant des gens comme Led Zeppelin et ses chansons ont été reprises (ici par Bonnie Raitt ou les frères Robinson), mais l’approche du groupe, à la fois roots et groovy, n’a jamais vraiment fait d’émules. Cette singularit­é doit beaucoup à son regretté leader, Lowell George, overdosé en 1979, à 34 ans. Salopette en jean, barbe broussaill­euse, regard narquois, béret sur le chef, ce génial excentriqu­e pondait des morceaux classiques de prime abord, en réalité totalement uniques. Sa voix était gouailleus­e et soul, son jeu de guitare slide d’une finesse exquise. Après un passage par les Mothers Of Invention, George débauche en 1969 un jeune prodige du piano, Bill Payne, ainsi qu’un des batteurs les plus doués de sa génération, Richie Hayward, et aligne les pépites blues rock country (“Willin’ ”, “Hamburger Midnight”, “Sailin’ Shoes”...) sur deux albums snobés par le public. Le bassiste Roy Estrada prend ses cliques et ses claques, mais trois arrivées changent la donne : le percussion­niste Sam Clayton et le bassiste Kenny Gradney, en provenance de Delaney & Bonnie ; le guitariste Paul Barrere, dont la voix, les chansons et le jeu forment un pendant idéal aux talents de George. Ce dernier aligne ici sa meilleure suite de chansons, des choses immédiatem­ent accrocheus­es, faussement simples, irrésistib­les, comme “Dixie Chicken”, “Two Trains”, “Fat Man In The Bathtub”, qui défrichent une voie nouvelle entre écriture rock et luxuriance funk. “Roll Um Easy” capte l’hébétude d’un joint par une après-midi torride, l’instrument­al “Lafayette Road” s’étire en langueur dans les bayous. L’influence de la Nouvelle-Orléans des Meters est particuliè­rement palpable sur la reprise de “On Your Way Down” d’Allen Toussaint, véritable traité sur l’art, si délicat, de jouer un tempo medium lent, limite indolent, avec intensité. Les musiciens, on le sent, pourraient groover à en pulvériser les toits (ce qu’ils feront sur le live “Waitin’ For Columbus”, en 1978), mais tout ici reste au service de chansons qui peuvent se siffler du début à la fin, limpides et moites comme les soirées du Sud fantasmées par ces Californie­ns.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France