The Pretty Things “THE PRETTY THINGS” FONTANA
19 65
L’amour fou du rock’n’roll (le vrai, celui qui refoule de la poésie de dessous les bras) et l’érotomanie sont intimement liés. Dans son “Psychopathia Sexualis” (1886), le docteur Krafft-Ebbing dresse la liste quasi complète de toutes les perversions sexuelles, froidement et sans commentaires, excepté sur un cas pour lequel le docteur s’emporte et décrète que de tels malades méritent la peine de mort, les coupeurs de nattes (de petites filles, de blanchisseurs chinois, etc). Dans le catalogue des déviances rock’n’rollesques, les Pretty Things font de belles figures de coupeurs de poncifs (et donc d’accélérateurs de l’histoire) et, pour cela, ils méritent l’éternité. Accélération de l’histoire donc, dans cette période brèvissime du milieu des années soixante où la surmultiplication de dérives, d’informations, d’inventions (de Gene Vincent au Magic Band du Captain quand même) est unique dans l’histoire de l’humanité. On parlera du rock’n’roll (Bo Diddley, le Killer, Hasil Hadkins, Roky Erickson, MC5, Cramps...), celui des Pieds Nickelés de l’extase égoïste, sans passé, sans présent, sans futur, celui qui s’oppose sans théorie aux flics de l’esprit, aux majorettes molles de la techno, aux poujado-gauchistes du jâââzz, au tapinage art et pouvoir, aux grandes surfaces de la Kulture-pub à décerveler, aux eaux glacées du calibrage FM, à la pérennité de la daube et à l’onanisme des conservatoires. Les qualificatifs pour les Pretty Things, si c’est nécessaire : directs, instinctifs, bruts, élégants, frénétiques, sales... toujours la poésie, encore. Ils auront été les seuls à brailler le rock anglais à une époque charnière de variété gominée avec plumes dans le cul ou d’étudiants besogneux en capacité de blues. Les fulgurances sont pour après (les moulinets de Pete T, les paroles de “I’m The Walrus”, l’alchimie des Kinks...). Ce disque est un de ces chefs-d’oeuvre de la musique populaire, qui annonce les agitations sonores à venir mais certainement pas un objet formolisable pour musicologues de la police esthétique. Au lieu d’admirer aujourd’hui les Pretty Things et autres The Clash postérieurs, il aurait mieux fallu en tenir compte — hors spectacle — et peut être qu’en cette fin de siècle, on ne se taperait pas les mêmes merdes musicales qu’il y a trente ans. L’histoire bégaie, n’est-ce pas ? PASCAL COMELADE ( GÉRONTO-CONSEILLISTE)