Rock & Folk

Bob Dylan “HIGHWAY 61 REVISITED” COLUMBIA

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Un coup de caisse claire, cette partie d’orgue élégiaque d’Al Kooper, une rythmique bouillonna­nte et puis la voix, étranglée, vengeresse, qui vitupère comme un prophète de l’Apocalypse assénant le Jugement Dernier : “Once upon a time,

you dressed so fine”... Le problème n’est pas de savoir si “Like A Rolling Stone” est le plus grand single de l’histoire du rock — à six minutes, il en était déjà le plus long — ce que même les Rolling Stones finiront par reconnaîtr­e trente ans plus tard, comme déjà Jimi Hendrix. L’important c’est qu’il a créé tant de vocations, converti une génération.

“Dylan était révolution­naire, dira Bruce

Springstee­n. Quand on entendait ce refrain où il hululait ‘how does it feel ?’, putain, ce qu’on savait ce que ça faisait

de se sentir largué comme ça...” Le tour de force de “Highway 61 Revisited”, c’est que cette morgue, ce souffle biblique ne retombent jamais. “Mr Tambourine Man” est dévoré par les nourriture­s de son inspiratio­n, et l’étoffe de ses rêves, irradiée. Le funambule est enivré de son propre génie, l’altitude génère sa propre griserie érotique. Chaque minute, Dylan, superstar crucifiée au festival de Newport pendant l’enregistre­ment de cet album speed et ionisé, caresse la mort et encule l’existence. Il est maigre, tendu comme une fronde, pointu comme ses boots anglaises, racé comme sa Triumph, beau comme Lucifer. Et règle ses comptes, son OEdipe, celui des Juifs et de l’Amérique en un inégalable tournemain avec, pour couperet, la guitare de Mike Bloomfield : Dieu demande à Abraham — son père — le sacrifice de son fils : il aura lieu sur la Highway 61 qui passe devant Hibbing où Bob a grandi, pour descendre le Mississipp­i d’où blues, R&B et rock sont freudienne­ment remontés, avec les anciens esclaves, jusqu’à l’âme de Dylan, et sa porte. “Something is happening, but you don’t know what it is.” “Ballad Of A Thin Man” trace la ligne wildienne, non entre Bons et Méchants, Justes et Infidèles, mais Dylan et Mr Jones, initiés et ringards. “Just Like Tom Thumb’s Blues”, c’est l’expérience beat ultime, où Rimbaud et Baudelaire plongent en pleine americana pour peindre les visions de Kerouac au son des pianistes de honky-tonk. “Le cirque est en ville”, conclut “Desolation Row”, onze minutes fellinienn­es, observatio­n post-coïtale de la frénésie destructri­ce du désir humain. YVES BIGOT

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