The Troggs
“FROM NOWHERE” FONTANA 19 66
Plus sales que les Rolling Stones
dirty sound de “Satisfaction”, plus bruts que Them et “I Can Only Give You Everything”, plus sauvages que les Animals, plus visqueux que Pretty Things, les Troggs de nulle part (“From Nowhere” – en fait d’Andover, Hampshire), réinventent cette année-là, produits par Larry Page l’homme des Kinks hard pop, d’un coup de massue rythm’n’blues magique, le mythe de la caverne rock... Une lanterne sourde de basse préhistorique à la main, Reginald Bail alias Reg Presley (révérence au King white thrash) inimitable nasilleur en chef dodu voyou et maniéré à la Seeds, Peter Staples, Chris Britton et Ronnie Bond, cherchaient un homme et ont trouvé Chip Taylor, créateur tordu de “Wild Thing”... Riff d’attaque crissando, voix insinuante dépravée, enregistré par hasard en un quart d’heure de chute de séance, encastré à “With A Girl Like You”, l’obscur blues forain US primal “Wild Thing” viole littéralement les temps. L’univers binaire — et au-delà — soudain vibre du spasme innommablement lascif de “Wild Thing”. C’est un hit en rut. Appel du manche, introduction en descente de cordes irrésistible, rudesse de l’instrument, caresse humide de l’organe, halètements explicites, turlutage d’ocarina flûté, indice de pénétration nerveuse maximal : le sésame vaudou du rock garage X, lent beat brut bodiddleyen, fer de lance du manifeste “From Nowhere” charnel à renvoyer le futur “Je T’Aime Moi Non Plus” breveté SGDG au rayon des menuets fripons, hystérise 1966... On connaît un lycéen vincetaylorophile de Michelet en rupture de ban qui, ayant volé “Highway 61 Revisited” cette saison-là, le troqua dans les dix jours contre “From Nowhere”. Sans remord. Dylan le génie folk intelligent entête, Reg Presley et ses
Trogglodytes éventrent. Leur dandysme prolo en pattes-d’eph à raies et poils fait débat. Vraiment si vulgaire... Justement, exultait l’amateur. Là on y était. La rue, le râle, le fog, le roulis obscène, les motos loubardes, la Bête, sur l’air psychobilly de “Lost Girl” ou “From Home”, le rock pur et dur, anti-parents, anti-goût, anti-tout, anti-nous... Alleluïa. Notre frère minet, fan des Beach Boys, qui, à l’instar de moult détracteurs, jugeait à sa sortie l’album jaune un peu “grotesque”, notre aîné avait tort, et les beaux Troggs insortables, qui un jour trousseraient “Good Vibrations” en talk-over ska, raison. BRUNO TARAVANT