Rock & Folk

Fred Neil

-

“FRED NEIL” CAPITOL 19 66

Vénéré de ses pairs mais inconnu du grand public, l’énigmatiqu­e Fred Neil est l’artiste maudit par excellence. Même “Everybody’s Talkin’ ”, son seul succès, lui a été dépossédé et reste à tout jamais associé à Harry Nilsson. Fred Neil demeure pourtant une influence majeure pour des génération­s d’artistes. Héros de la scène new-yorkaise de Greenwich Village au début des années 60, il captive par sa guitare douze-cordes et sa voix de baryton et devient le parrain du revival folk qui a révélé de nombreux chanteurs, de Bob Dylan à Tim Hardin. Plus existentia­liste que politique, Neil n’est pas un protestsin­ger revendicat­if à la Tom Paxton. Venu du blues et du jazz, il tient plus du conteur qui, de sa voix chaude et rassurante, narre des histoires intemporel­les. Sa vie prend un tournant en 1965 lorsqu’il décide, après deux albums admirables, de fuir l’effervesce­nce de cette scène dont il est un des piliers. Il retourne dans sa Floride natale, s’adonne à la plongée et se prend de passion pour les dauphins du Seaquarium de Miami qu’il sérénade de sa guitare. Il ne retourne alors à New York que pour de rares cachets. De cette retraite naît “Fred Neil”, album sorti en 1966 où son auteur livre ses états d’âme et sa vision fataliste du monde. C’est le premier album de Neil où figure un véritable groupe — batterie, contrebass­e, guitares et cet harmonica majestueux joué par Al Wilson de Canned Heat. Alors qu’au même moment Dylan s’électrise avec fracas, Neil propose une vision introspect­ive et mélancoliq­ue du folk-rock. De sa voix chaleureus­e, il s’empare de quelques classiques folk de Greenwich Village qu’il transfigur­e : “Green Rocky Road” devient une ballade pastorale presque mystique, “Shake Sugaree” une complainte poignante, et sa version débonnaire de “Cocaine” (ici renommée “Sweet Cocaine”) s’avère bien plus subversive que toute version punk existante. Neil croone son spleen sur des mélodies portées par sa guitare aux accords lumineux : sa fuite loin de la ville sur “Ba-De-Da” et “Everybody’s Talkin’ ”, sa fascinatio­n pour les cétacés sur la superbe “The Dolphins”. Comme l’indique ce morceau méditatif, Neil aspire à la solitude et la quiétude de l’Océan. Il entrera dès l’année suivante dans une réclusion qu’il ne quittera que pour s’occuper des dauphins, jusqu’à sa mort en 2001. Etrange destin qui ne fait qu’ajouter à la légende de cet album. ERIC DELSART

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France