The Beach Boys
“SMILE” CAPITOL 19 67
Que l’on parle de l’album de 1967 (ce chef-d’oeuvre annoncé des Beach Boys que Brian Wilson abandonna en cours d’enregistrement), de la version de 2004 (bouclée par Wilson avec l’aide des Wondermints, son dévoué groupe de scène) ou du coffret de 2011 reconstituant avec les bandes d’époque l’album tel qu’il aurait dû être, l’affaire “Smile” demeurera pour l’éternité un sacré bordel. Exactement comme son contenu, fruit étrange de l’imagination d’un Brian Wilson en plein bouillonnement créatif. L’histoire est très connue : l’aîné de la fratrie Wilson avait avec “Smile” l’ambition de réaliser l’album pop ultime. Au printemps 1966, “Pet Sounds” vient de paraître, mais Brian Wilson veut aller encore plus loin. La concurrence avec les Beatles lui chauffe le cerveau, il veut carrément concevoir “une symphonie adolescente adressée à Dieu”. Un single est d’abord enregistré en 18 séances (un record) : ce “Good Vibrations” qui en effet touche au sublime. C’est avec un parolier, Van Dyke Parks, jeune et bizarre poète à lunettes rencontré par l’entremise de David Crosby, que Wilson entreprend cette suite dérangée de “Pet Sounds”. Que se passe-t-il pour qu’en mai 1967 le projet soit abandonné pendant des décennies ? Est-ce sa fragilité ? la pression ? les traumatismes familiaux qui ressortent ? les rames A3 de buvards LSD ? On ne sait pas précisément. Ni pourquoi Brian Wilson déambulait dans le studio torse nu avec un casque de pompier. On est sûr en revanche qu’il dispose des meilleurs studios, musiciens (le Wrecking Crew), choristes (les Beach Boys). Sur son piano, il n’a d’ailleurs pas perdu l’influx, inventant encore des mélodies renversantes, enfantines, terrifiantes, ces “Cabin Essence”, “Do You Like Worms”, “Surf’s Up”, “Heroes And Villains” ou l’intro a cappella “Our Prayer”. Toutes ou presque paraîtront sur les albums bricolés après le naufrage mental du maestro. Reconstitué sur les récentes “Smile Sessions”, l’album remplit trois faces de vinyle (une hérésie puisque Capitol avait imprimé des pochettes simples) et comporte logiquement des longueurs (la suite des Elements sur la fin du projet se révélant par exemple assez duraille). C’est un disque magnifique aux deux tiers, 100 % déglingué (même à l’échelle Beach Boys), mais aussi un authentique fantôme qu’aucun coffret ne saura jamais vraiment matérialiser... BASILE FARKAS