Rock & Folk

Blue Cheer

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“VINCEBUS ERUPTUM” PHILIPS 19 68

Proto-stoner, proto-grunge ou proto-metal, les étiquettes affluent dès que l’on se penche sur le cas Blue Cheer. Une chose est sûre : alors que certains en étaient encore à empiler des pistes de violons, ce power trio du genre lourd et corrosif avait plus d’un temps d’avance. Managé par un Hell’s Angels répondant au doux nom de Gut, Blue Cheer semblait avoir pour mission de créer une bande-son idéale pour les motards, portée sur la fureur, les rugissemen­ts et de bonnes giclées de fuzz. A cette image, le célèbre single “Summertime Blues”, étonnant succès de l’époque et premier titre de “Vincebus Eruptum” (“Nous Contrôlons le Chaos”). Celui-ci démarre par un riff inspiré de “Foxy Lady” avant de se lancer dans une ravageuse relecture du classique d’Eddie Cochran : voix éraillée, parties de guitares éruptives utilisant force larsens et tremolos, roulement de toms incessants, basse surpuissan­te, Blue Cheer assimile les apports de Jimi Hendrix et de Ginger Baker, en y ajoutant un côté rude, incisif, agressif. Le blues lent de BB King, “Rock Me Baby”, se voit maltraité de la même façon, Dickie Peterson s’y déchirant particuliè­rement les cordes vocales. Ce dernier signe ensuite la première compositio­n de l’album, “Doctor Please”, une ode aux tranquilli­sants de plus de sept minutes et l’un des sommets du disque : pendant que Paul Whaley cogne à tout rompre sur ses fûts, Leigh Stephens usine un riff fruste, oppressant, puis laisse sa six-cordes déraper sur de multiples soli, supernovas incandesce­ntes et distordues. Dans cette même veine de psychédéli­sme dissonant et brutal, suit “Out Of Focus” avant la reprise balaise de “Parchman Farm” (inspiratio­n évidente de Cactus) dont la section centrale est dominée par une ligne de basse épaisse et sinistre qui évoque “Sunshine Of Your Love”. Enfin, “Second Time Around” est l’obligatoir­e

rave-up de clôture basé sur un riff simple et efficace, laissant à chaque instrument­iste la possibilit­é de briller une ultime fois, et contenant donc un (court) solo de batterie du soudard Whaley. En seulement six titres tellurique­s, ces bikers aux longues tignasses montraient qu’une autre voie était possible pour le rock and roll, forgeant un son destructeu­r, râpeux, inédit pour l’époque. C’est ce qui permettra à “Vincebus Eruptum” de devenir, au fil des ans, une sorte de monolithe noir du heavy rock, précurseur et hiératique. JONATHAN WITT

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