Canned Heat
“BOOGIE WITH CANNED HEAT” LIBERTY 19 68
Quand on regarde attentivement l’année 1968, on s’aperçoit que les choses sont en train de changer. Hendrix emporte “Voodoo Chile” loin dans la stratosphère, Janis hurle “Ball In Chain”, les Byrds remettent de la poudre dans le canon country... Le ton se durcit (1969 ne ressemblera à rien). A Los Angeles, un groupe de fanatiques collectionneurs de vieux 78 tours de blues — le groupe trouvera son nom sur un morceau de vinyle de 1923, “Canned Heat Blues” par Tommy Johnson — actionne à fond la machine électrique pour faire sauter le boogie de John Lee Hooker et trouver un son à part, sans vrai équivalent. Canned Heat, c’est surtout Bob The Bear Hite et Al Blind Owl Wilson, un couple contre nature absolument partial pour le blues. Quand Bob lâche dans sa barbe pré-ZZ Top des salves de grognements évoquant Howlin’ Wolf égaré dans un abattoir, Al fait le contrepoint d’une voix de tête aérienne qui fait pleurer les sirènes du coeur, une sorte de yodel pour les enfants des sixties. Henry Vestine fait le pont entre les deux compères, dédicaçant chaque titre de méchantes notes qui se tordent et crient de douleur. Sur “Boogie With Canned Heat”, leur deuxième album, les Chaleur En Boîte deviennent plus personnels, prosélytes blues qui habillent l’ancien idiome avec les frusques du temps. Le succès du disque viendra essentiellement de “On The Road Again”, titre catapulté par la performance d’Al Wilson et un brillant motif de sitar. Mais le titre pivot du disque est “Fried Hockey Boogie”, un raout ternaire endiablé de onze minutes qui vous ferait croire que, pour sûr, le monstre du Loch Ness croise les eaux du Mississippi. “Boogie With Canned Heat” est pourtant loin d’être un classique instantané. Pendant que l’Europe s’affole, il faudra attendre six mois après sa sortie en janvier, alors qu’il est près de partir au pilon, qu’une petite radio texane s’approprie “On The Road Again” pour que le disque s’impose. Trois autres titres, “My Crime”, sorte de mix grognard de “Hoochie Coochie Man” et “Trouble”, la chronique d’une mort blanche d’ “Amphetamine Annie” et le brutal “Evil Woman” deviendront des favoris absolus de l’année soixante-huit. Ils le sont encore, alors que Al Wilson (overdose en 1970) et Bob Hite (1980) sont depuis longtemps disparus. Reste le message, essentiel,
don’t forget to boogie, comme ils disaient dans les publicités radio d’époque. FRANCK ROY