Leonard Cohen
“SONGS OF LEONARD COHEN” COLUMBIA 19 68
Sortir un classique dès son coup d’essai n’est pas à la portée de tout le monde. Mais justement, Leonard Cohen n’est pas n’importe qui... En 1968, il a déjà trente-quatre ans et surtout, il est un auteur célèbre qui a déjà publié plusieurs recueils de poèmes et deux romans. Il est loin d’être un hippie, un rocker ou quoi que ce soit d’approchant. Il est lui-même, totalement à part, et le restera jusqu’à aujourd’hui. Et le voilà qui se lance dans la carrière de chanteur ! Il écrit dix chansons magnifiques, dont “Suzanne” qui ouvre l’album et avait déjà été interprétée par Judy Collins, et les livre de sa voix incroyable, grave, chaude et envoûtante, sur un accompagnement en picking de guitare à cordes de nylon qui traumatisera une génération d’apprentis folkeux. Et c’est presque tout, hormis quelques violons grinçants magnifiques (“Master Song”), un flûtiau, un piano fantomatique, très lointain (“Winter Lady”), une guitare électrique et un petit orgue discrets par-ci par-là, et surtout ce qui deviendra sa marque de fabrique, des choeurs féminins réellement surnaturels. Les classiques se ramassent à la pelleteuse sur cet album : “The Stranger Song”, “Sisters Of Mercy”, “So Long Marianne”... Cohen aurait presque pu s’en tenir là, tellement tout son art est contenu dans ce disque. Mais il en fera d’autres, excellents ou moins bons, creusant inlassablement son sillon de grand auteur et de remarquable chanteur, essayant inlassablement de dépasser ce coup de génie (et de se débarrasser de son public de scouts et de dames patronnesses que lui amènera ces chansons, auxquelles ils n’ont probablement jamais rien compris). Toutefois, ce premier essai restera à jamais dans l’histoire de la chanson mondiale comme une pierre angulaire. Incomparable et magistral à la fois. STAN CUESTA