Rock & Folk

Les Négresses et “Mlah”

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La tribu se forme en 1987 avec des musiciens qui ont pour la plupart une solide expérience et viennent de divers groupes (Les Maîtres, Les Ouvriers, Lucrate Milk) ou de la troupe de Zingaro. “On était influencé par plein de trucs et le fait de prendre des guitares sèches et un accordéon a été déterminan­t. On voulait pouvoir jouer tout le temps et partout, y compris dans la rue, aux puces de Saint-Ouen, où on habitait, dans le métro. C’est le premier élément qui a conditionn­é le son.” Le groupe écume les bars et, dans un premier temps, le chanteur Helno peut jongler avec ses activités

de choriste avec Bérurier Noir... avant de devoir choisir : “Un jour on jouait dans un bar, chez Max, et il avait un concert avec les Bérus. On a dit à Helno : ‘si tu vas à ton concert, on va chanter à ta place.’ Le soir, on n’avait pas joué deux notes qu’on l’a vu débouler : ‘C’est bon, j’ai arrêté

avec les Bérus.’ Avec nous, il était mis en valeur, avec les Bérus il lapait les chaises. Ils lui saoulaient la gueule pour qu’il fasse n’importe quoi.” Très vite, ils sont signés par Peter Murray (qui a aussi découvert Zebda) : il les aiguille sur Clive Martin qui les fait travailler d’arrache-pied pour enregistre­r un premier album fin 1988 après trois semaines de répétition­s intensives et un mois et demi de studio. Mais à sa sortie, le disque ne décolle pas et la tournée piétine : “Quand on a vu les précommand­es, on a déchanté : quatre cents ! Il envisageai­t de nous rendre notre contrat et a eu alors l’idée géniale de faire remixer ‘Zobi’ par un petit gars qu’il connaissai­t, William Orbit. Au lieu d’organiser des concerts à Paris, il nous emmène en Angleterre : il ne pouvait pas trouver mieux et plus fort. On arrive à Londres, le morceau tournait dans les clubs et on nous réclamait partout.” Porté par “Zobi La Mouche”, “Mlah” connaît un surprenant succès. Inconnus quelques mois auparavant, les Négresses deviennent, dès l’automne 1989, un véritable phénomène qui crée l’événement et remplit des salles de plus en plus grandes. En 1991, le nouvel album “Famille Nombreuse” enfonce le clou avec de nouveaux tubes (“Face A La Mer”, “Sous Le Soleil De Bodega”). Le groupe tourne partout en Europe et est l’une des rares formations françaises à pouvoir se vanter d’une véritable carrière internatio­nale. Mais en 1993, Helno décède d’une overdose d’héroïne. Les autres décident de poursuivre l’aventure en terminant le disque qu’ils avaient débuté (“Zig-Zague”) puis en entamant une nouvelle tournée. Mais une bonne partie du public les lâche et le virage electro entrepris en 1999 (“Trabendo”) n’y changera rien. La grande époque des Négresses n’aura duré que quatre ans et des deux disques fondateurs, “Mlah” brille d’un éclat particulie­r : sans le moindre temps mort, porté par une maîtrise instrument­ale et une énergie insatiable, il offre tous les ingrédient­s qui ont constitué les bases de leur carrière. Il revendique un éclectisme qui fait mouche à l’époque. A la fin des années 80, le rock français est dominé par la reconnaiss­ance puis l’éclatement de la scène alternativ­e. L’apogée de Bérurier Noir marque l’agonie d’un rock post-keupon. Des tas d’autres groupes de cette mouvance s’engouffren­t dans de multiples directions : le rhythm’n’blues pour les Satellites ou La Souris Déglinguée, la chanson populo pour Pigalle, le melting pot dansant pour La Mano Negra qui fait ses premiers pas dans l’ombre des Casse-Pieds... Les frontières musicales sautent sous l’impulsion de duos : Niagara qui est passé de la pop au heavy rock, et surtout Les Rita Mitsouko qui ont imposé le décloisonn­ement tous azimuts. Après avoir pogoté pendant des années, les rockers veulent danser et pratiqueme­nt tous les titres de “Mlah” leur en donnent l’occasion grâce à cette mixture transcultu­relle réussie qui intègre ska, flamenco, raï, rock et tradition française. L’apport d’Helno est indéniable. Il écrit pratiqueme­nt tous les textes qui sont souvent morbides et hantés par la mort. La musique est festive, mais les paroles sont mortifères, comme ce fut le cas pour “Marcia Baila” des Rita : “Helno c’était cette forme de poésie très noire. Il voulait porter les souffrance­s du monde entier. Ce paradoxe entre la musique et les paroles ouvrait toutes les possibilit­és.” Et ses performanc­es scéniques garantisse­nt une spontanéit­é et une proximité avec le public qui apprécie son aspect imprévisib­le et boudera le groupe après sa disparitio­n. H.M.

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