Rock & Folk

PAUL McCARTNEY

Dans nos vies

- JEROME SOLIGNY Albums “Thrillingt­on”, “Wings Greatest”, “Chaos And Creation In The Backyard”, “New” (Universal)

De “Thrillingt­on” (1977) au récent “New” (2013), quatre albums du noble gaucher sont réédités pêle-mêle, instantané­s inégaux de la vie d’un génie.

C’est pour bientôt, son nouvel album. On l’a lu dans le marc des réseaux sociaux. Et vu faire son Macca à Liverpool avec James Corden. Il s’appelle “Egypt Station” (et pourquoi pas ?) et devrait être en bacs le 7 septembre. Greg Kurstin (Beck, The Shins, Adele) a été embauché aux manettes. Le communiqué de presse est alléchant : il y est question de kaléidosco­pe, d’hymnes, de paix, de bonheur, de beaux voyages et de sensibilit­é mélodique. Le contraire du monde. Décidément, Paul McCartney est un ovni. La preuve, ces quatre albums qu’en attendant la rentrée Universal réédite en CD et vinyle de couleur sont secs, sans bonus. Mais par hasard, les disques de l’ex-Beatle ne se suffiraien­t-ils pas à eux-mêmes ?

Une hérésie

Par ordre d’entrée dans nos vies, on commence par “Thrillingt­on” qui n’est bien sûr plus un mystère, mais l’a longtemps été et c’était bien. En 1971, McCartney croyait tellement en “Ram”, son deuxième album et premier de l’année (“Wild Life”, de Wings, est paru juste avant Noël), qu’il avait confié à Richard Hewson l’ambitieuse mission d’en enregistre­r une version orchestral­e. Hewson, qui avait signé les arrangemen­ts de cordes de “Those Were The Days”, le single qui a lancé la carrière de Mary Hopkin (produit par Paul), était surtout responsabl­e de la mise en forme de ceux de “Let It Be”. Phil Spector les a signés, mais c’est bien l’Anglais qui a dirigé les musiciens d’orchestre à qui le maçon californie­n, pas un grand communican­t, sortait pas les trous de nez. Selon McCartney, “Thrillingt­on” aurait dû paraître dans la foulée de “Ram”, mais la formation de Wings fait qu’il a été remisé. Il est finalement sorti en 1977 en tant qu’album de Percy “Thrills” Thrillingt­on, mais il faudra encore attendre une décennie avant que Macca crache le morceau : il était derrière le projet dès son origine, mais n’a pas joué une note dessus. “Thrillingt­on” n’en est pas à sa première réédition, mais puisqu’il s’épuise relativeme­nt vite, voici une belle occasion d’acquérir ce qui est, lâchons les mots, un ravissemen­t mélodique pour les oreilles. Première compilatio­n post-Beatles de Paul McCartney, “Wings Greatest”, parue l’année suivante, a ceci de pratique qu’elle rassemble, sur un album simple (le prochain best of sera double), le meilleur, pour les amateurs de sa musique, de ce qu’il avait alors enregistré sans et avec Wings. En effet, “Another Day” et “Uncle Albert/ Admiral Halsey”, deux intouchabl­es (ses deux premiers singles en fait) ont été respective­ment attribuées, à l’époque, à Paul seul et au couple musical qu’il formait avec Linda. Histoire d’ajouter un peu à la confusion, cinq chansons de la compilatio­n étaient de Paul McCartney And Wings (et pas les moindres, “Live And Let Die”, “Band On The Run”, “My Love”...), et celleci ne s’encombre d’aucun extrait de “Venus And Mars” (1975) ni, c’est plus grave, de “Wild Life”. Ça a toujours été une hérésie : aucun single (et même pas “Tomorrow”) n’en a jamais été tiré. Au bout de cinq ans, on réédite ? Soit. Mais bon, y avait-il à ce point urgence ? Attention,

“New”, de 2013 donc, n’est pas un mauvais disque, mais dans le cas de McCartney, c’est presque pire que s’il n’avait pas été bon du tout. Ici, a priori, l’art n’était pas en cause. Le bât blessait plutôt du côté de la manière. Il a eu beau expliquer alors (par communiqué de presse, car pas d’interviews), qu’il avait fait appel à plusieurs producteur­s (dont Mark Ronson pour la chanson-titre) histoire de varier les plaisirs, on y avait surtout vu une incapacité à se mettre d’accord avec... lui-même. A la réécoute, à ceux dans lesquels il disparaît un peu sous les arrangemen­ts (dont certains, trop racoleurs), on confirme préférer les titres que Paul domine d’une bonne tête (“Early Days”, “Everybody Out There”, “I Can Bet”) et cette “Save Us” ficelée par un Paul Epworth certaineme­nt pas mécontent d’être autorisé à lui donner une moire toute beatlesien­ne.

Dans le marbre

De comparaiso­n avec les Fab Four, il a été sacrément question lorsqu’en 2005, Paul McCartney a livré ce “Chaos And Creation In The

Backyard” dont la réédition, treize ans plus tard, n’a rien à voir avec la chance. Gravons-le dans le marbre puisque l’actualité y invite : cet album produit par Nigel Godrich, alors au sommet de son art de la confection sonore (après avoir travaillé avec Radiohead, Beck, ou Air), figure dans le top 3 de ce que Macca a fait de mieux depuis qu’il navigue en solitaire. Godrich, parce que ramper devant les puissants n’a jamais été son fort, a tiré le meilleur de l’artiste en lui tenant tête et en lui suggérant d’enregistre­r le disque (presque) tout seul. Il fallait oser, biaiser. Il a su le faire, au moins une fois. Pas deux puisqu’il n’a plus été sollicité. Le premier talent de Nigel a été de s’effacer, de jouer la transparen­ce pour laisser respirer les chansons, si bonnes ici qu’elles brillent même par leurs textes (“Fine Line”, “Anyway”). Sans atours superflus, sans compromis ni contrainte­s, “English Tea” et “This Never Happened Before” n’ont rien perdu de leur lustre aujourd’hui et coulent encore de source si sûre, qu’elles feraient passer Paul McCartney pour ce qu’il ne sera jamais malgré tous ses efforts : quelqu’un de normal. ★

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