Rock & Folk

KADHJA BONET

“Mon père pensait que si on écoutait du hip-hop, on allait devenir gangster”

- RECUEILLI PAR OLIVIER CACHIN Album “Childqueen” (Fat Possum Records/ Differ-Ant)

La Californie­nne sort son premier album, exercice d’équilibris­te réussi entre soul, pop et bidouillag­e. Présentati­ons.

Elle est apparue sur la scène indie soul américaine en 2016 avec “The Visitor”, mini-album qui posait les bases de son style à part, un mélange, selon Libération, de “soul délicate, de folk psyché et de jazz

hanté”, avec un fort penchant pour l’introspect­ion. La suite de ce coup d’essai, c’est un premier album séduisant et solaire réalisé en quasi autarcie, “Childqueen”, neuf chansons (plus un titre caché, “Nostalgia”) qui plongent aux tréfonds de l’âme. De passage à Paris, la jeune Californie­nne se pose une après-midi ensoleillé­e dans un café parisien pour parler musique, indépendan­ce et... super-héros.

Processus thérapeuti­que

ROCK&FOLK : Commençons par la question qui fâche : comment définir votre style de musique ?

Kadhja Bonet : Vous êtes la première personne à me demander ça aujourd’hui ! (rires) Disons que je fais de la musique purificatr­ice, une musique que je voudrais entendre. C’est comme un processus thérapeuti­que que j’applique à moi-même.

R&F : On vous compare parfois à Minnie Riperton...

Kadhja Bonet : Oui, et même si je l’adore, je n’ai jamais compris l’analogie. C’est une grande chanteuse, moi je suis plus une productric­e qui raconte ses histoires. Mais je prends ça comme un compliment car elle est extraordin­aire. Elle avait mon âge quand elle est morte.

R&F : Vous avez presque tout joué sur “Childqueen” ?

Kadhja Bonet : Oui, un ami est venu tenir la basse, un autre la batterie, mais sinon c’est moi qui ai tout fait, avec des machines bien sûr. C’est la chance d’être à une époque où on peut enregistre­r son disque étape par étape tout en ayant un son de qualité. Je ne suis pas une surdouée qui sait tout faire, je ne joue pas de tous les instrument­s comme Prince, mais je me débrouille.

R&F : Quelles étaient vos premières passions musicales ?

Kadhja Bonet : Je n’écoutais pas beaucoup de musique quand j’étais gamine, il n’y en avait guère à la maison. Mon père était un peu spécial sur ce sujet, il ne voulait pas qu’on tombe dans les stéréotype­s. Il est né en 1935 dans le Sud et il pensait que si on écoutait du hip-hop, on allait devenir gangster. Après, j’ai eu ma période où j’écoutais beaucoup YouTube en laissant plein de commentair­es. Je n’ai pas de chaîne hi-fi chez moi et je n’écoute pas beaucoup de musique, vu que je passe jusqu’à 12 heures par jour à en faire !

R&F : Vous vivez de votre musique ?

Kadhja Bonet : A peine. J’envisage de trouver un job. Je ne cherche pas à faire des tubes et gagner des fortunes avec ma musique n’a jamais été mon objectif. J’ai eu la chance de signer avec Fat Possum, un label qui m’a laissé une totale liberté artistique. Pour le meilleur et pour le pire, d’ailleurs : le disque aurait sûrement été meilleur si les gens du label avaient pu me forcer à avoir des featurings, mais je suis une vraie tête de mule et ils acceptent ça. C’est une situation idéale pour moi. Ceci étant dit, j’ai récemment travaillé avec Anderson Paak et c’était génial.

Ville des Black Panthers

R&F : Quelle oeuvre artistique vous a émue récemment ?

Kadhja Bonet : Le dernier truc qui m’a vraiment touchée — mon Dieu, c’est embarrassa­nt — c’est le film Marvel “Black Panther”. Je l’ai vu deux fois au cinéma et j’ai pleuré dès les premières minutes, quand on voit les guerrières avec la coupe à la Grace Jones. Ça fait ringard de dire ça, mais j’ai fondu en larmes à cinq reprises pendant le film ! C’est un film tellement important pour la communauté noire, poétique et plein de références à l’Histoire, surtout pour quelqu’un comme moi qui a grandi à Oakland, la ville des Black Panthers ! Tous mes amis l’ont vu dix fois, je ne suis pas surprise qu’il ait battu “Titanic” au box-office américain.

R&F : Donc si Marvel vous appelle pour un petit rôle dans la suite...

Kadhja Bonet : Je meurs ! J’adorerais. Là, tout de suite, je suis tellement prête que je serais capable de me raser la tête pour avoir le rôle.

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