Rock & Folk

JAMES WILLIAMSON

“‘Raw Power’ ? Le mix de Bowie, sans hésitation”

- RECUEILLI PAR VINCENT HANON

Sans Iggy Pop, l’autre guitariste des Stooges revient pour un album avec Petra Haden et Frank Meyer. L’homme, bien sûr, a quelques anecdotes et perfidies à balancer.

DERNIER STOOGE HISTORIQUE après le chanteur, James Williamson reste d’abord l’homme de “Search And Destroy” (1973). Surnommé “The Skull” par Ron Asheton, qu’il remplaça deux fois à trente-sept ans d’intervalle, Williamson se sert de sa guitare comme d’une sulfateuse sur ce riff abrasif, l’un des plus influents de tous les temps. Branchée dans un Vox AC30, balayant toute velléité metal, punk ou grunge derrière, sa Gibson Les Paul Custom de 1969 bondit sur les mots d’Iggy Pop qui, eux, pulvérisen­t stratégiqu­ement toute illusion sur leur passage. Ceux qui comptent, Sex Pistols, Metallica, Smiths, Nirvana et les autres, se sont tous abreuvés à la source “Raw Power”. Le son de James Williamson est resté quasiment inchangé depuis. Né en 1949 à Castrovill­e, au Texas, le Keith Richards d’Iggy Pop enregistre ensuite avec lui “Kill City” (1977), produit le génial “New Values” (1979) avant de jeter l’éponge sur “Soldier” (1980) et de totalement disparaîtr­e des radars au début des années 80. L’homme opère alors un changement à 180 degrés et se reconverti­t brillammen­t dans l’informatiq­ue où il travaille pour Sony Electronic­s dans la Silicon Valley. Il faut attendre 2009 pour qu’il rejoigne naturellem­ent Iggy And The Stooges, juste après le décès de Ron Asheton et l’intronisat­ion du groupe de Detroit au Rock And Roll Hall Of Fame. La disparitio­n de Scott Asheton sonne vite le glas de l’aventure Stooges 2.0. En 2014, James Williamson publie “ReLicked”, disque où il revisite avec différents chanteurs le répertoire qui aurait dû figurer sur le cinquième album studio des Stooges. Pas de vieille chanson aujourd’hui, mais onze nouvelles avec des coeurs roses. The Pink Hearts, ce sont Petra Haden, chanteuse, violoniste de That Dog et fille du légendaire musicien jazz Charlie Haden, ainsi que Frank Meyer des Streetwalk­in’ Cheetahs, groupe de Los Angeles au nom renvoyant explicitem­ent à “Search And Destroy”... On n’en sort pas. “Behind The Shade ” surprend pourtant moins par sa qualité que sa passionnan­te diversité. Avec son orientatio­n électro-acoustique, une approche fraîche et dynamique, le disque rappelle parfois “Kill City”, en moins déglingue, et comment pourrait- il en être autrement ? James Williamson a surtout une manière bien à lui, mature et intelligen­te, de faire grimper le volume et monter la températur­e. C’est de retour d’Hawaï, où il était avec le guitariste Deniz Tek, qui vit désormais sur l’archipel et avec lequel il enregistra l’année dernière le EP “Acoustic KO”, qu’il nous parle sur Skype fin mai, depuis la Californie. The Skull a l’air excité à l’idée de défendre ce nouveau chapitre d’une significat­ive disco- graphie, avec un enthousias­me sans faille, la dent dure et des mots choisis.

“En tant que personnes, Iggy et moi n’avons que très peu en commun” “Ça m’a surpris que Nike veuille utiliser ‘Search And Destroy’ ”

ROCK&FOLK : Comment s’est mis en place le projet ?

James Williamson : J’ai commencé à composer les chansons de “Behind The Shade” en mai 2017. Après toutes ces années, j’ai enfin réalisé que je n’étais pas capable d’écrire des paroles. J’aurais pu en prendre conscience avant, mais j’ai enfin eu la révélation. Il était temps (rires). J’ai alors cherché des gens susceptibl­es de m’aider, comme Paul Nelson Kimball qui chantait dans le groupe Careless Hearts, avec lequel j’avais joué peu avant que je rejoigne à nouveau The Stooges. Il était ravi à l’idée de m’écrire des paroles, mais ça n’était pas vraiment le parolier le plus rapide que j’aie connu. Je me suis alors souvenu d’avoir vu Meyer pour un concert que nous avions fait pour “Re-Licked”. Il y avait quatorze chanteurs sur ce disque, et c’était quasi impossible de le jouer en concert. Certains étaient sur place à Los Angeles, mais pas tous. Cheetah Chrome m’avait alors suggéré de prendre Frank Meyer, qui avait fait “Sick Of You” ce soir-là si je me souviens bien. J’aime sa façon de chanter, mais aussi sa présence scénique. Petra, je la connaissai­s depuis l’époque de “Ready To Die”, elle chantait aussi sur “Acoustic KO”. Sur les conseils de Mike Watt, je l’avais découvert avec l’album où elle chantait “The Who Sell Out” a capella. Je savais qu’elle était fantastiqu­e, mais je n’étais pas sûr que ça fonctionne­rait, car leurs voix sont franchemen­t différente­s. On a essayé sur quatre chansons et la magie a opéré.

R&F : Petra qui n’est autre qu’une des triplés de Charlie Haden…

James Williamson : Charlie Haden fait partie de mon panthéon personnel, et j’en connaissai­s bien plus sur lui que sur sa fille. Il a joué avec tout le monde, et particuliè­rement avec Keith Jarrett dont je suis grand fan.

R&F : C’est la diversité qui frappe dans cet album, loin du son monolithiq­ue des Stooges.

James Williamson : C’est partiellem­ent dû à Iggy. Il est énergique et son style est très simple. On pourrait dire qu’il n’a qu’une flèche à son arc. Evidemment, c’est un bon arc mais qui, d’un autre côté, le limite énormément. Travailler avec ces nouvelles personnes fut en tout cas libérateur, car ces deux-là peuvent tout chanter. Ça m’a permis de me lancer dans ce que je voulais, de voir où tout ça m’emmenait. On a écrit un paquet de morceaux, il a été difficile de garder les dix meilleurs, onze si l’on compte le morceau qu’on a repris à Alejandro Escovedo, “Died A Little Today”, la dernière chanson du disque. Jason Carmer, le bassiste, a enregistré “Behind The Shade”, il avait déjà fait “Acoustic KO”. On a enregistré l’instrument­ation à Berkeley et les voix à Los Angeles. J’ai joué dessus, je l’ai produit et mixé.

R&F : Remontons un peu dans le passé. On perd trace de vous après 1980. Qu’avez-vous fait pendant tout ce temps ?

James Williamson : J’ai fait plein de trucs tout au long de ma carrière. J’étais ingénieur en génie électrique et électroniq­ue. Je peux concevoir les prises, ce genre de trucs, mais je n’ai pas fait ça trop longtemps. D’ailleurs ça m’étonne moi-même d’avoir pu le faire, car c’est un boulot vraiment ennuyeux. J’ai vite changé de situation. J’ai ensuite dirigé des gens et j’ai fini cadre chez Sony, où je ne faisais, en gros, plus rien. J’ai arrêté en 2009. Par pure coïncidenc­e, c’est le moment où Ronnie est décédé et The Stooges m’ont demandé de rejouer. Je n’étais guère chaud au début, je n’avais pas joué depuis des lustres et je n’envisageai­s pas de le faire. Mais, puisque j’étais à la retraite... Je connaissai­s ces gars depuis que nous avions la vingtaine. Il y avait un truc à faire.

Je n’aime pas la musique

R&F : Quel est votre mix préféré de “Raw Power”, celui de David Bowie en 1973 ou celui d’Iggy Pop en 1996 ?

James Williamson : Le mix de Bowie, sans hésitation. OK, je sais bien que ça n’était pas mon opinion au départ mais, après avoir vécu toutes ces années avec... Et puis, c’est celui dont tout le monde se souvient. Ça sonne toujours bizarre quand ça n’est pas celui-là. Je n’aurais pas dû être surpris par le mix d’Iggy, car je sais qu’il n’est pas techniquem­ent compétent en studio. Je crois qu’il a monté tous les potards, tout fait sauter et ça ne sonnait vraiment pas bien en fin de compte.

“Alison Mooshart a fait du bon boulot ”

R&F : Comment avez-vous réagi quand vous avez entendu “Search And Destroy” dans la pub Nike ?

James Williamson : Ça ne m’a pas posé de problème. La façon dont ça marche, c’est que les agents contactent l’éditeur qui a lui-même des agents qui les contactent pour leur donner l’autorisati­on. Ils demandent alors aux artistes pour savoir s’ils sont d’accord. Je n’avais pas besoin de ça. Ça m’a surpris que Nike veuille utiliser “Search And Destroy”. La publicité est très

Just Do It, mais tu vois tout de même quelqu’un qui vomit et d’autres choses bien crades dedans. Cette pub a été diffusée pendant les finales NBA aux Etats-Unis, qui rassemblai­ent une énorme audience. Rapidement, les autres annonceurs ont demandé qu’elle soit retirée de l’antenne car les gens étaient choqués de ce qu’ils avaient vu. J’ai trouvé ça vraiment cool.

R&F : Retrospéct­ivement, que pensez-vous de “Ready To Die” ? James Williamson : J’ai été un peu déçu. Iggy n’a jamais été doué pour faire des albums. Il n’aime pas vraiment ça, il n’a pas la patience. En gros, il l’a fait parce que je voulais le faire, il a à moitié écrit des paroles, il avait quelques idées, des semi-chansons. Mais ça n’est pas son meilleur travail à mon avis. “Ready To Die” avait ses moments, il y a quelques bons riffs, des bons trucs.

R&F : Vous êtes toujours en contact ?

James Williamson : Avec Iggy, on n’a pas grand-chose à se dire en ce moment. Mais il n’y a pas de raison pour que nous arrêtions de nous parler définitive­ment. Durant toute notre relation, nous avons passé de longues périodes sans se contacter. A chaque fois qu’on le fait, ça concerne des histoires de boulot. Notre relation c’est : écrire, faire un groupe, ce genre de trucs. En tant que personnes, Iggy et moi n’avons que très peu en commun, donc on n’a pas vraiment de raison de papoter au téléphone. R&F : Qu’est-ce qui cloche avec le rock’n’roll d’aujourd’hui ? James Williamson : Je déteste ça. Je n’en écoute pas vraiment, parce que je n’aime pas la musique. Les milléniaux ont tourné ça en quelque chose de totalement différent. Tu connais ce son qu’ils appellent le millenial whoop ? (se met alors à braire comme un âne). Wa-oh, waoh, wa-oh... C’est leur affaire, moi je ne peux pas m’identifier à ça.

R&F : Vous avez écouté les derniers trucs de Jack White ?

James Williamson : Je ne l’écoute plus tellement. J’ai l’impression que Jack White a simplement besoin d’une carrière. Avec ce son de guitare que j’ai fait sur “Raw Power”, sans drogues, ni basse et avec des voix, voilà Jack White, c’est à peu près tout. Disons qu’il peut sortir un bon son. Personnell­ement, je ne trouve pas ses riffs particuliè­rement imaginatif­s. J’aime bien Alison Mosshart, je trouve qu’elle a fait du bon boulot sur mon disque.

Le vieux catalogue

R&F : Toute chance de réunir The Stooges semble réduite à néant, maintenant que Ron et Scott Asheton ne sont plus là...

James Williamson : Je ne pense pas en effet que cela se reproduise. Ça n’aurait plus aucun sens avec juste moi et Iggy. On a fait ce qu’on a pu, pendant tellement longtemps, je l’ai pratiqueme­nt fait dix ans. C’est fini, même si je me laisse toujours un peu de marge de manoeuvre, car on ne sait jamais ce qui peut se passer dans le futur. Mais je m’amuse tellement avec ce groupe et ce nouvel album, que c’est le dernier de mes soucis. Je suis content de ce que nous avons fait, et je veux que les gens l’écoutent. Frank est à fond, il continue à écrire des nouvelles chansons. Je continuera­i tant que c’est plaisant et que les chansons me viennent rapidement. Pour les tournées, on fera tout ce qui fait sens. L’album contient onze chansons, ce qui n’est pas assez pour un concert. On puisera assurément dans le vieux catalogue des Stooges. Je vais les choisir, car je ne veux pas que ça sonne comme une session plan-plan des Stooges. Les gens viennent me voir, ça compte pour eux, ils veulent entendre le son des Stooges. C’est quelque chose de bien caractéris­tique. Je sais que beaucoup de gens essaient de jouer certaines de ces chansons, mais ils ne sonnent pas toujours si bien que ça... J’espère que les gens continuero­nt à écouter ce truc, à l’apprécier, il y a dans cette musique un peu plus que du hard rock rectiligne.

 ??  ?? James Williamson et Iggy Pop, période “Kill City”
James Williamson et Iggy Pop, période “Kill City”
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France