Rock & Folk

LES NEGRESSES VERTES

“Personne n’était d’accord avec personne”

- RECUEILLI PAR H.M.

Alternatif quoiqu’extrêmemen­t vendeur à l’époque, le big band est de retour, 30 ans après “Mlah” et 25 ans après la mort de son chanteur Helno. Le guitariste Stéfane Mellino raconte le tout.

L’HISTOIRE DES NEGRESSES VERTES s’est poursuivie jusqu’en 2001, et pourtant, pour beaucoup, elle s’était terminée en 1993, six ans après leurs débuts, au moment de la mort de Helno, leur chanteur charismati­que. A l’occasion de la réédition de toute leur discograph­ie, elle reprend pour fêter l’album avec lequel tout a commencé et le groupe (remanié) repart sur les routes pour deux ans à l’occasion d’une consistant­e tournée internatio­nale. Stéfane Mellino, l’un des fondateurs de cette iconoclast­e tribu, revient sur ce parcours insolite.

L’essence même des chansons

Rock&Folk : Le groupe était-il en sommeil ou dissous ?

Mellino : On ne fait plus rien ensemble depuis dix-sept ans. Quelqu’un avait souhaité prendre quelques années de recul, tout le monde n’était pas de cet avis, mais c’est la dictature des minorités. Je suis passé à autre chose : avec Iza, on a monté un groupe (Mellino), écumé les bars pour se refaire une identité musicale et sorti trois albums. Polo est allé dans le Larzac, il a également monté un groupe, Le Rétif. Nunuche s’est mis à faire des musiques de film, Mathias a acheté un hôtel dans une station de ski, bref, tout le monde est parti sur des voies différente­s.

R&F : Ces retrouvail­les sont-elles le fruit d’une opportunit­é ? Mellino : A chaque concert de mon groupe, j’étais sollicité et je répondais : “Je ne suis pas les Négresses à moi tout seul, je ne peux pas

décider une reformatio­n d’un claquement de doigts...” En 2015, on me contacte pour une participat­ion à une tournée Top 50. Après hésitation, j’accepte en tant que Mellino des Négresses Vertes, je me tape la tournée des Zénith en chantant seul “Voilà L’Eté”, “Zobi La Mouche”, et je constate que nos chansons sont restées dans la tête des gens. L’organisate­ur veut monter une tournée sur notre nom, j’en parle aux autres, il nous fallait une idée, et l’occasion a été les trente ans de “Mlah”. On est cinq historique­s, seul Mathias a refusé : “J’ai tourné la page, c’est

du passé.” On a embauché un accordéoni­ste avec lequel on avait déjà travaillé et une pointure à la batterie. Le tour de chant est consacré à “Mlah” dans son intégralit­é et, pour le rappel, on parcourt le reste du répertoire sur quatre-cinq titres. On reprend l’essence même des chansons, sans samples et en restant fidèles aux versions d’origine.

R&F : Quelles sont vos premières impression­s de tournée ?

Mellino : A la fin des concerts, au lieu de rester à debriefer dans les loges, on retourne dans la salle signer des affiches et c’est le choc émotionnel. Dernièreme­nt, une dame a amené son gamin : “Il a vingt

ans et il s’appelle Helno.” Un type a même appelé son fils Mellino ! On retrouve des anciens fans, mais ça ouvre aussi sur un autre public : leurs enfants ou ceux qui étaient trop jeunes pour nous avoir vus en concert.

L’album de la survie

R&F : Comment avez-vous géré l’après Helno ?

Mellino : On était rentrés tard de Taratata. Quand j’émerge, à neuf heures, la maison de disques me contacte et m’annonce son décès. Je leur réponds : “Vous êtes cons, c’est son frère jumeau qui a dû faire une

OD.” Helno en tournée ne prenait rien, d’ailleurs il ne pouvait pas aller sur scène shooté, ses prestation­s étaient trop physiques et on ne l’aurait pas toléré. J’appelle chez sa mère qui me confirme la nouvelle. A notre maison de disques, je propose de faire comme Joy Division qui est devenu New Order après la mort de Ian Curtis : “On change de nom. On ne peut plus être les Négresses sans Helno, il représente 80% des textes il est notre figure de proue. On est décapités.” On m’a répondu que les Négresses étaient un véritable groupe, ce qui m’a convaincu...

“Helno était un mélange de Joe Strummer et Shane MacGowan, on le surnommait Joe Streumon”

jusqu’au jour où on s’est retrouvé devant la feuille blanche. On a mis tout notre coeur dans “Zig-Zague” parce que c’était l’album de la survie, mais si on avait eu de la lucidité, on aurait dû prendre immédiatem­ent le virage de “Trabendo”. On n’a pas su le faire, on n’a pas été épaulé. Avec le recul, je me dis qu’il aurait fallu appeler Arno : il était le seul chanteur qui pouvait remplacer Helno, mais on ne l’a su qu’après. On a donc continué tant bien que mal.

R&F : Etait-ce une solution satisfaisa­nte ?

Mellino : A l’étranger, ça ne changeait rien car ils privilégie­nt le côté musical et l’identité du groupe. Ils se focalisent sur l’image du poulbot parisien et l’énergie qu’on déploie. En France, on a tout de suite constaté que les salles étaient coupées en deux. Ça tenait la route, mais il n’y avait plus le phare. Quand je vais voir un groupe, je regarde le chanteur en premier. A ce titre, Helno ne passait pas inaperçu : il était un mélange de Joe Strummer et Shane MacGowan, et on le surnommait Joe Streumon !

R&F : N’était-il pas incontrôla­ble ? Quand on vous a suivis en tournée, on a constaté qu’il provoquait les journalist­es, pendant que vous arrondissi­ez les angles. Et vous n’appréciiez guère lorsqu’il décidait de voyager en stop entre deux concerts...

Mellino : Il a eu quelques petits pétages de plomb, mais on le contrôlait. Une fois, on s’arrête dans une station-service, on le voit revenir en courant et se mettre au lit dans le bus comme s’il dormait. On voit sortir la meuf de la boutique : “Il m’a piqué une peluche !” On lui a fait la morale... C’était un mec qui savait écouter, un taiseux qui restait à l’écart des grandes discussion­s mais pouvait en ressortir la synthèse dans ses textes car il avait tout dans la tête.

R&F : Etes-vous restés en contact avec les groupes de cette époque ?

Mellino : La grande mode, c’était de taper sur Le Pen en concert ; on ne l’a jamais fait car on trouvait cette attitude facile et démago. Les Négresses se caractéris­aient par la coexistenc­e de gens complèteme­nt différents : on pouvait avoir des discussion­s agitées et des tensions fortes, personne n’était d’accord avec personne, mais on se retrouvait sur les chansons. Les groupes dont je parle nous ont tous tourné le dos à l’époque, on était des vendus pour eux. Je suis tombé sur une interview de Loran Béru où il déclare qu’il nous en veut parce que Virgin a donné de la tune à un mec comme Helno. Il y a eu plein de réactions de ce genre. En jouant avec mon nouveau groupe, j’ai revu tous ces gens qui nous regardaien­t un peu de haut avec Iza : “Alors, vous avez eu du succès et maintenant vous êtes dans des rades ?” La musique, c’est mon métier et ma passion, jouer c’est le sel de ma vie, les Négresses c’était super mais je m’en fous, je vis au jour le jour, j’ai ce patrimoine en moi. Je ne veux pas me morfondre sur mon passé glorieux qui est mort et enterré, mais je ne le renie pas pour autant.

Voilà le chèque

R&F : Envisagez-vous une suite discograph­ique ?

Mellino : On n’envisage rien. Un album aujourd’hui, ça sert à quoi ? C’est le piège : en France plus personne ne fait de développem­ent. Les maisons de disques ? Au secours ! Aujourd’hui les Négresses n’auraient aucune chance, à moins que... Les coups de chance existent : à nos débuts, on voyageait avec nos propres bagnoles, on croise les Rita Mitsouko, on leur explique qu’on rêve d’un bus mais qu’on ne peut pas se l’offrir. “Il coûte combien ? Dix mille balles ? Tenez, voilà le chèque, vous nous rendrez les sous quand vous les aurez.” Et ils nous ont payé notre bus, ce qui nous a permis de tourner partout. ✭

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