Actualité du no future
Oublions le flop retentissant de l’Eurovision. Et oublions Johnny Rotten, ce personnage de cartoon, cet avatar télé-réel. Et célébrons... Car nous voilà arrivés en cet instant où “Never Mind The Bollocks” (sorti en novembre 1977) a quarante ans. Flanqués des mémoires de John Lydon, un réexamen de cet assaut culturel historique s’impose, à l’évidence. “Never Mind The Bollocks ”?“Le meilleur album de tous lestemps”, selon Noel Gallagher. Rien que ça. Avant cela, le 7 juin 1977, les Pistols organisent, en marge du Jubilé d’argent de la reine, leur propre défilé sur une péniche traversant la Tamise... Et moi, mon sentiment est que le titre de “roidupunk” attribué à Lydon n’est, aussi ronflant qu’il soit, pas galvaudé. Pour moi, Johnny Rotten a, à l’époque, avec son teint livide, son visage boutonneux (“unepublicité ambulante pour les amphétamines !”), ses dents pourries, sa maigreur cadavérique, sa réputation de petit merdeux et détraqué qui gerbe sur une plante en pot avec sa veste de club d’aviron féminine rose taguée avec l’inscription “God Save The Queen”, oui, je trouve qu’il a mis un moment donné la société anglaise de l’époque au défi de déceler l’urgence, la pertinence crue de son message sous cette mystique peu avenante, de trouver la grille de lecture adéquate le légitimant. Ce que ladite société n’a naturellement pas fait, le discriminant, le blacklistant, le marginalisant, le banalisant en réponse et, fait inédit, le bannissant des charts. Grand acte de transgression que celui-là, de mise en abyme de la puissance de feu de la pop lorsqu’elle est mise au service d’une cause, de la cause. Lydon a refusé absolument d’incarner avec les Pistols un groupe de pop merdique de plus, ce que sans lui, je parle là de cette exigence de forcené, le groupe serait devenu, selon toute vraisemblance. Voilà pourquoi ce type est un héros. Qui a mené à très grande échelle l’expérience de la vérité. “La vérité est la force la plus révolutionnaire quisoit”, lit-on dans “Hippie Hippie Shake” de Richard Neville... Mais en l’occurrence, peut-être est-ce pour cela que l’on prétend que John Lydon va toujours trop loin : car en réalité personne n’aime la vérité ! Car la vérité, c’est l’inconfort... Pourtant, la vérité, y compris celle de soi-même, Rotten en a fait un leitmotiv à combustion lourde, un moteur phénoménal, dont la courroie de transmission était les mots. “Un mot, c’ est très puissant ”, soulignet-il .“Je maintiens que les gros mots n’ existent pas; c’ est une question d’interprétation”. Lydon a finalement étoffé, à travers le punk, cet art régulièrement méprisé, décrié, répudié, censuré, conspué, l’idée d’une quête humaine fondamentale autour de l ’( auto) acceptation, c’ était à prendre ou à laisser (“Quand vous n’ avez pas honted’êtrevous-même,c’estlaclé pour trouver des gens de qualité dans lavie”). Sa destinée donna, à la fin des années 70, l’impression d’un sacrifice humain, ou quasiment (Pete Townshend a dit un jour : “Lasociété se saisit de ce que peut offrir une figure charismatique et s’ enfuit avec .” C’est exactement ça.), mais contrairement à son pote Sid, autre spécimen du groupe en quête d’affection sous des dehors peu avenants (“les signaux envoyés parles marginaux sont en fait des demandes d’ amour et d’ attention ”), il n’a pas perdu la face, soutenu par son instinct sûr et indéfectible, et une bonne compréhension des enjeux déployés autour de la bannière controversée du groupe. Cela s’appelle, en un mot, le courage. Non seulement ça. Mais en désamorçant l’imagerie nihiliste propagée régulièrement autour du punk, Lydon nous a prouvé que (face à la machinerie, aux manoeuvres et à la manipulation), l’homme n’était pas l’ennemi de l’homme, mais encore son meilleur atout. Prodigieux. Néanmoins, quarante ans plus tard, il semblait écrit (exploit post-Pistols, avec PiL, mis à part...) que la découverte d’une vérité aussi aveuglante réduirait tout forfait artistique ultérieur à un simulacre, un spectacle navrant (et ainsi — même si c’est raté — l’Eurovison !). “Pourquoi ne pas exploiter ce territoire-làaussi?”, semble suggérer aujourd’hui l’insatiable John Lydon. Pas dupe. Et quelle meilleure façon d’aborder le nofuture prédit en 1977... sinon en se situant dans le paradoxe du sens ? Seule posture nihiliste valable aujourd’hui. Ainsi, prophète indiscutable hier, John Lydon est donc son propre contradicteur, dorénavant. Sinon l’antéchrist, tout au moins un sacré empêcheur de tourner en rond. D.A. RUDD-HOZIER
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